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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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amour primaire. C’était autant que pouvait aimer une créature de son espèce, un être en quelque sorte incomplet, sculpture à peine dégauchie encore prisonnière de sa masse de glaise. Quelque chose en lui l’attirait, elle, la femme au-delà de la putain. Quelque chose d’évolué qu’elle ne discernait qu’intuitivement. Son cœur bondit de joie lorsqu’elle entra dans la tente ce soir-là pour constater que Louis était conscient et qu’il s’était assis sur la couche prêtée par Magister.
    — Ça va ? lui demanda-t-elle, un peu gênée.
    — Oui.
    Il n’avait pas envie de répondre autre chose, même s’il ignorait aller bien ou non. Desdémone lui rapporta un bol de bouillon et vint s’accroupir à ses côtés. Louis l’accepta d’une main tremblante et le but avidement.
    — Savais-tu qu’il y en a parmi les prisonniers qui t’appellent le preux Saint Louis, désormais ? Tu as fait montre d’un grand courage en refusant de demander grâce. En cela, tu as gagné l’admiration de tous. Mais Magister n’apprécie pas. Fais attention, d’accord ? Évite de défier ainsi ton maître.
    — Ce frère frappart* n’est pas mon maître. Je n’ai pas de maître, dit Louis en rendant le bol vide à Desdémone.
    — Ces yeux-là non plus ne t’aident pas. Tu fixes trop. Regarde à terre.
    Mais le regard de Louis, obstiné, vrilla les prunelles de plomb sans aucune profondeur de son interlocutrice. Il s’était juré, à l’autre bout de sa vie, de ne plus jamais regarder à terre. Par l’ouverture de la tente, il put distinguer son père qui était assis au coin du feu avec Magister et ses favoris. Pendant un long moment, il fut comme hypnotisé par la scène ; cet amas de crasse puante qui avait forme humaine, ce pochard malicieux qu’une hilarité vulgaire enlaidissait, il se prit à rêver de le détruire. Une telle haine se mit à bouillonner dans les veines de Louis qu’il en oublia la présence de Desdémone. Elle se rappela à lui en lui posant une main sur l’épaule. Louis grimaça, mais ce n’était pas la douleur.
    — Tant de noble hardiesse ! Tu me rends folle de désir.
    Jamais il n’avait pensé qu’un jour il éprouverait de la reconnaissance pour avoir reçu des plaies profondes : Desdémone dut se résoudre à mettre ses envies en berne, car des ébats trop précoces auraient pu rouvrir les blessures de son protégé.
    — Je voudrais me laver, dit Louis.
    — Il n’y a, hélas, pas assez d’eau ici, mon chéri.
    Elle glissa la main sous le drap et ajouta, d’une voix rauque :
    — Tu sens assez bon pour moi. Guéris bientôt, que tu me prennes encore comme tu sais si bien le faire.
    Louis ferma les yeux. Il contraignit son corps à ne pas sentir les caresses, au risque de s’attirer les foudres de cette amante jalouse qui s’était imposée à lui. Il laissa les visages d’Adélie et d’Églantine se superposer dans son esprit et s’amalgamer au parfum des fleurs. Son jardin. Louis découvrait avec délices qu’il pouvait encore le voir. La fontaine était là et n’avait pas changé. Elle se mit à murmurer doucement sous la frondaison d’un chêne. Un écureuil invisible y échappa un gland et se lança dans une longue suite de protestations. Petit Pain l’écoutait avec intérêt, le museau en l’air et ondulant sa longue queue dorée. Cela fit rire les deux femmes assises sur un banc de pierre non loin de là. Elles portaient des robes blanches, et leurs ombrelles refermées reposaient près d’elles. Des rosiers poussaient le long d’une barrière qu’on n’avait mise là que pour faire joli, car ils étaient en sécurité dans leur jardin. Aucun intrus n’y avait accès. Firmin ne pouvait ouvrir la barrière. Il n’était pas là. Louis s’assit aux pieds d’Églantine. Une petite main caressa ses cheveux légers, lavés de frais. Les dalles chaudes du trottoir lui communiquaient une tiédeur langoureuse tandis qu’ils discutaient tous les trois, oublieux du monde. Un pétale de rose rouge transporté par la brise vint se poser doucement sur son avant-bras droit. Il baissa les yeux.
    — Tu m’écoutes, quand je parle ? demanda la voix rude de Desdémone.
    Louis vit sur son avant-bras la petite plaie qu’elle avait vicieusement rouverte avec l’ongle de son pouce. Son rêve, encore une fois, se brisa. Il dit, avec amertume :
    — On m’enlève tout ce que j’aime et toi, roulure, tu veux baiser.
    Furieuse,

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