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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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chair brûlée s’éleva dans la nuit en même temps qu’un cri terrifiant qui tenait autant du vagissement du nouveau-né que du hurlement d’agonie.
    Le silence qui revint s’étendit sur la sylve comme une encre noire.
    Firmin échappa le tisonnier comme si sa main brûlait. Il vit devant lui le corps de Louis que les convulsions disloquaient.
    — Recule ! recule ! dit gentiment Magister en posant une main sur l’épaule de son disciple.
    — J’ai pas fait ça, moi ? dit le tortionnaire d’une toute petite voix.
    — Partons. Vite. Pelletez de la terre sur ce feu qu’on en finisse. Inutile de le détacher, il se meurt.
    Magister ne voulait plus s’approcher de cette vision de cauchemar. Les yeux blancs de Louis brillaient sur eux comme une malédiction.
    *
    Desdémone et Clémence s’étreignirent en tremblant. Toute la journée, elles avaient suivi le cortège de loin. Elles n’avaient rien pu faire.
    — Pourquoi s’est-il attardé comme ça ? Pourquoi n’est-il pas venu avec nous ? dit la prostituée, ravagée par de profonds sanglots. Elle dit encore :
    — Ce levain… il y tenait beaucoup. Mais, après avoir tant combattu, on ne risque pas sa vie pour un pot.
    — Ce n’est pas cela. C’est Père qui l’a retenu.
    — Aura-t-il seulement eu le temps de savoir qu’il nous a tous sauvés ?
    En larmes, Clémence dit, tout bas :
    — Dieu te garde, mon frère.

Chapitre VII
    Fide et obsequio
    (Fidélité et soumission)
    P arfois le brouillard était blanc et soudain, sans raison apparente, il était noir. Sa couleur importait peu puisque sa présence avait tout annihilé. Plus rien n’existait ni n’avait d’importance, depuis l’identité de celui qui l’avait généré jusqu’aux membres rigides du corps inconnu qui y dérivait doucement depuis l’éternité. Le brouillard noir ou blanc entourait ce corps d’un bienheureux engourdissement. Objet lourd et insensible, il ne souffrait pas, il ne ressentait rien. Les paupières ne s’abaissaient plus pour abriter les yeux fixes et l’intérieur vacant qu’ils révélaient.
    Lorsque les premières images se mirent à resurgir, ce fut le choc. Elles firent l’effet d’un coup de tonnerre dans sa tête. Et il eut à nouveau peur, et il eut à nouveau mal.
    Cela commença avec l’image de la pluie. Une pluie froide, morne, incessante, une pluie telle que l’on n’en voyait que certains jours trop doux pour appartenir à l’hiver, mais qui contenait pourtant toute la froidure de cette saison. Il y avait aussi du brouillard. Mais il était fait d’une étoffe sale, d’un gris vaguement bleuté. Dans l’image qui s’imposait graduellement à lui, il était étendu sur une sorte de brancard, sous le poids humide d’une couverture de laine. Ses cheveux adhéraient à son crâne comme une plante morte. Trois personnes l’accompagnaient, une à chaque extrémité de la civière et une troisième qui marchait à côté de lui. Une quatrième était sortie de nulle part, à ce qu’il lui semblait. Impossible de savoir qui elles étaient : les silhouettes étaient trop imprécises dans l’air crépusculaire. Ou c’était à cause du brouillard qui allait s’épaississant. Il tourna la tête en direction d’une grille derrière laquelle d’autres silhouettes, toutes pareilles, se regroupaient. Il percevait des voix, mais n’arrivait pas à saisir ce qu’elles disaient. Le brouillard l’enveloppait, l’éloignait : Louis était moribond.
    La seconde image vint elle aussi comme un éclair : il se revit étendu, complètement nu, sur une table autour de laquelle d’autres silhouettes imprécises s’activaient en conversant à voix basse. On lui souleva la tête afin de lui faire boire quelque chose. Peu après, il eut mal, très mal. Un cri, la vague impression qu’un autre que lui se débattait avant d’être avalé par le néant ponctué de brouillard noir ou blanc.
    La dernière image était déconcertante, parce que d’une tout autre nature. Elle était stable, apaisante. Elle revenait régulièrement pour écarter sans rudesse les pans floconneux de son inconscience. C’était un visage. Ce visage, il le reconnut : c’était le sien. Nimbé par les brumes de la fièvre, cette sorte d’alter ego vieilli de vingt ans l’avait veillé sans relâche. Il n’y avait aucun échange de paroles. Ce visage se trouvait seulement là, parfois, surtout lorsque le brouillard était blanc, jusqu’à ce que le

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