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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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d’une façon jusque-là inégalée.
    Satan était rusé : il savait profiter des circonstances. L’époque s’était montrée propice à la rupture d’un équilibre devenu précaire. La surpopulation, qui avait entraîné de graves carences alimentaires, avait engendré la déficience physique. L’indigence du peuple avait été aggravée par les misères de la guerre, par les exodes et par l’entassement derrière les murailles des villes assiégées. La Faucheuse n’avait eu qu’à envelopper les nations dans les pans de son noir manteau. L’abattement moral, Lionel en était persuadé, avait contribué à cette grande mortalité. « Nous sommes faits à l’image du Créateur, se disait-il. Or, lorsque notre vie vient à perdre cette parcelle divine, celle-là même qui nous permet d’être cocréateurs, nous renonçons, et la vie s’en va. »
    Au matin, l’infirmier épuisé conclut qu’il n’y avait plus rien à perdre et qu’il fallait de suite risquer le tout pour le tout. Il informa l’abbé de sa décision qui fut immédiatement approuvée. On donna à Louis de puissants sédatifs. Les crises s’estompèrent suffisamment longtemps pour permettre aux moines de l’opérer.
    Plusieurs heures plus tard, Antoine reçut des nouvelles fraîches :
    — Ses génitoires* n’ont pas subi de dommage irréparable, mon père. Cependant, le ductus deferens {63} m’a donné beaucoup de souci. La brûlure était grave. Nous avons fait pour le mieux. De ce côté-là, il s’en tirera aussi bien que le sire de Joinville {64} .
    — Très bien. Il ne nous reste plus qu’à prier pour lui.
    — Les convulsions l’ont repris au réveil, sans qu’on puisse les attribuer à l’état de mal, cependant. Je soupçonne la présence de lésions internes. Je ne saurais en être certain, mais j’ai tout lieu de croire que son état est dû à un traumatisme subi à la tête plutôt qu’aux organes.
    — Toujours aucun symptôme de morille ?
    — Pas pour le moment, mon père. J’ai nettoyé et examiné ses plaies. J’ai dû en recoudre plusieurs. Les autres ont été cautérisées. Nous avons isolé le patient dans une chambrette, certes pour limiter le risque de contagion, mais surtout parce que son état inspire trop de crainte.
    Ses brefs instants d’éveil demeuraient crépusculaires. Il avait vaguement conscience qu’une silhouette se tenait assise à sa droite, patiente et silencieuse. À chaque fois que sa conscience émergeait, cette forme était là et n’avait pas bougé.
    Brusquement, un matin, il s’avéra que la période d’existence lunaire avait pris fin. C’est alors qu’il sut. Qu’il se souvint, plutôt ! Il devait tenir bon. Vivre. Vivre pour se venger ! Ses paupières semblèrent émietter les lueurs. Le moine qui le veillait les vit ciller sur ses yeux mi-clos. La première parole que le malade prononça fut :
    — J’ai soif.
    « Comme Notre-Seigneur en croix. On ne refuse rien à un martyr qui se meurt », se dit le moine in petto.
    Il s’approcha avec un bol de verre dans lequel baignait une petite éponge. Une main se glissa derrière les épaules de Louis et le souleva tendrement. Un peu d’eau citronnée fut exprimée de l’éponge qu’il tenait au-dessus de la bouche assoiffée. Louis recueillit avec reconnaissance un mince filet d’eau claire et fraîche, qui ne se tarit que lorsque sa soif fut étanchée.
    — Merci, dit-il.
    Le moine reçut le remerciement d’un sourire et le recoucha. C’était lui. Son alter ego. Son retour à la réalité avait fait reprendre à ce moine son apparence propre, même s’il subsistait dans ses traits quelque chose de vaguement familier.
    Il regarda de nouveau par la fenêtre. Quelque part, hors de vue, un oiseau chantait gaiement sans trêve. Un nuage rondelet se prélassait dans son pan de ciel bleu, et Louis le regarda passer impunément au-dessus d’un clocher qui ne fit aucune tentative pour l’épingler. Il y avait un autre bâtiment aux fenêtres ouvertes au-delà d’une jeune pelouse dont le vert émeraude commençait à parsemer le chaume doré de l’automne précédent. Il tourna la tête vers le moine et demanda :
    — Où suis-je ?
    Mais le grand moine ne répondit pas. Il se contenta de lui sourire. Peut-être était-il muet. Louis n’insista pas.
    Un second moine entra. Sa bure noire était protégée par un tablier blanc.
    — Ça va mieux, mon garçon, on dirait. Sais-tu où tu te

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