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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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    — Chez Églantine.
    — Tu es à Saint-Germain-des-Prés, petit. Tes amis et le frère Pierre t’ont amené ici.
    — Mes amis ?
    — Deux jeunes femmes et un autre garçon. Sais-tu quel jour nous sommes ?
    — Non.
    — Essaie de me le dire.
    Louis fronça les sourcils. Il avait pourtant bien vu dehors, mais il ne savait plus. Tout n’était que chaos dans sa tête. Il répondit :
    — Quelque part en janvier. Il faut que j’aille au four aider mes parents.
    — Non, Louis. Écoute. Nous sommes mardi, le septième jour d’avril de l’an 1348 qui se termine {65} . En pleine semaine sainte. Tes parents ne sont pas ici. Tu as compris ? Non ? Ça ne fait rien. Repose-toi.
    — Toute cette eau par terre. C’est drôle, on dirait qu’elle frémit. Elle ne montera pas jusqu’ici ?
    — Il n’y a pas d’eau par terre. Tout va bien, ne t’inquiète pas. Tu reviens de loin, mon garçon. Mais tu ne pouvais choisir meilleur moment pour revenir à la vie, puisque le Christ ressuscite dimanche. En attendant, pas question de ce sempiternel hareng du carême pour toi. Tu as besoin de reprendre des forces.
    Laissé à lui-même, l’adolescent entreprit de mettre de l’ordre dans sa mémoire disloquée, ce qui exigeait de lui beaucoup d’efforts. Il était souvent interrompu par de brèves siestes ou de courtes absences, ainsi que par d’autres épisodes d’amnésie plus ou moins prolongés au cours desquels le brouillard se manifestait de nouveau. Mais, à force d’insistance, il finit par se faire une idée assez précise de son passé récent. Et sa conclusion fut que quelque chose n’allait pas. Ses souvenirs les plus récents étaient pleins de neige et de pluie glacée. Or, l’hiver s’en était allé sans laisser de traces. Quelque chose manquait. Plusieurs mois de son existence avaient disparu dans un abîme. Que s’était-il donc produit ? D’où lui venait cette soif insatiable de vengeance ?
    Perplexe, il évoqua longuement ses derniers souvenirs. Il y avait cet homme blond qui portait la barbe. Louis se battait avec lui. Un autre, gros et sale, les regardait faire avec un sourire narquois. Non, ce n’était pas ça. Ou peut-être que si… Le pan d’une tente qui battait au vent. Un pot de terre cuite enveloppé de linges humides qui roulait par terre jusqu’à ses pieds. C’était peut-être ça aussi. Mais qu’est-ce que c’était ? Une grande femme blonde qui riait, penchée au-dessus de lui, et qui l’embrassait goulûment avant de s’empaler sur son membre érigé en l’étouffant sous son poids. Il frissonna de dégoût. Mais non, ce n’était pas cela non plus.
    Un feu. Tout lui revint. Le craquement du feu. Les jambes des hommes qui se tenaient autour. Et, derrière son dos à lui, le fût du chêne contre lequel il était plaqué par ses liens. Le feu. Les brandons et l’odeur du fer porté au rouge. Une main charnue, protégée par un morceau de cuir, serrant un tisonnier qui s’approchait dans la nuit. Il reconnaissait cette main. Et le visage velu de celui à qui elle appartenait. Trahison. La douleur. Atroce. Fulgurante. Et son cri méconnaissable qui sombrait, avalé par le non-être.
    Louis retomba, en proie aux convulsions.
    — Le démon s’agite encore en lui, dit l’infirmier à l’un des frères qui entrait.
    *
    Assis dans son lit, le dos appuyé contre ses oreillers, Louis eut amplement le temps de faire le point. Il commença par une soigneuse auscultation de ses quinze années de vie dont le souvenir était enfin restauré dans son intégrité par son début de rémission. C’était quinze ans d’abus dont il voulait ardemment se dépêtrer, et ce, même s’il n’avait guère connu autre chose. Sans savoir pourquoi, il songea au jour où il avait annoncé à Firmin son intention de se marier. Ce jour-là, l’une des première fois de sa vie, il s’était senti un homme devant son père. Firmin en avait été amoindri, il s’était mis à perdre son ascendant sur lui à un point tel qu’il avait été obligé d’avoir recours à son ultime défense, un testament qu’il ne savait pas lire lui-même et qui allait un jour faire de l’abbaye, celle-ci, justement, celle de qui dépendrait son avenir à lui.
    Le chien frappé par une main hostile se méfiera ensuite de toutes les mains, y compris de celles qui ne désirent que le caresser. Toute main qui se lève, peu importe son dessein, est immédiatement jugée agressive,

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