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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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et la bête mord. En contrepartie, la douleur et le chagrin qui en résultent chez la personne bien intentionnée n’émeuvent pas le chien : pour lui seul le mal existe, les caresses ne sont qu’une façon hypocrite d’endormir la méfiance pour mieux dominer par les coups plus tard. Ainsi et peu à peu, le chien s’isole de la personne devenue elle aussi méfiante. Il a de moins en moins l’occasion de voir sa théorie faussée par une quelconque expérience bénéfique. Les occasions se font de plus en plus rares d’abattre les préjugés et de rétablir sur des bases objectives des rapports de cordialité.
    Louis commença par observer les moines. Il les laissa faire. Mais il était comme une bête sauvage. Il ne réalisait pas pleinement que c’étaient eux qui l’avaient sauvé et soigné.
    L’abbé procéda à une étrange cérémonie au cours de laquelle il l’aspergea avec un goupillon. Il lui demanda de réciter un Pater Noster. Comme Louis ne connaissait pas cette prière, l’abbé la lui dicta phrase par phrase. Louis l’apprit par cœur avec une grande aisance. Enfin, il lui fit faire le signe de croix et ce ne fut qu’après en avoir terminé avec tout cela qu’Antoine l’informa qu’il venait de procéder à un exorcisme. Louis manifesta de l’étonnement du fait qu’il n’avait pas eu à subir de châtiments. L’abbé expliqua :
    — Ce Magister est un imposteur. Tu aurais tort de retenir quoi que ce soit de ce qu’il t’a dit ou de ce qu’il t’a fait. Le nom même qu’il s’est donné est un blasphème.
    Louis se demanda si le faux prêtre était parvenu jusqu’à Avignon avec ses acolytes. Il était persuadé que son père était encore avec lui. Firmin n’allait pas renoncer au statut qu’il s’était nouvellement acquis, tout incertain qu’il pût être.
    L’adolescent concentrait toute son attention sur le périple des Pénitents afin d’empêcher une autre pensée, lancinante, de resurgir. En vain. Elle ne cessait de tempêter pour remonter à la surface. Parfois, exténué d’avance, Louis s’y abandonnait en éprouvant une souffrance que nul remède ne pouvait apaiser. Cette pensée se répandait dans ses veines comme un poison : « S’il a été capable de me faire tout ça, se disait-il, c’est peut-être vraiment parce que je ne vaux rien. Je suis une erreur, qu’il a dit. Peut-être que c’est pour ça que je les ai tous perdus… mon chat, Mère, Églantine, notre enfant. Je ne les méritais pas. »
    Comme pour se protéger de l’averse glaciale que subissait son âme, il se recroquevillait pour attendre la rafale suivante.
    « Ce qui m’arrive, peut-être que je le mérite. Sont-ils morts par ma faute, parce que je n’avais pas le droit de les aimer ? Qu’ai-je donc fait ? Je ne comprends pas. »
    Pour toute réponse, le silence.
    Ces réflexions obsessives étaient si pénibles que Louis se trouva dans l’obligation de tourner contre lui-même le système défensif qu’il avait jusque-là utilisé contre le monde extérieur. C’était ce qu’il appelait son éteignoir. Il en éprouva un tel soulagement qu’il se persuada que ce système fonctionnait à volonté, même si ce n’était pas vraiment le cas.
    Un mois entier s’écoula avant que Louis pût être tiré de sa recluserie*. Au cours des dernières semaines, ses crises d’épilepsie s’étaient graduellement espacées jusqu’à cesser tout à fait. Cependant, certains malaises persistèrent plus longtemps : fatigue, absences, difficulté à se concentrer, maux de tête et anxiété. Parfois, sans aucune raison apparente, son cœur battait la chamade et le plongeait dans une angoisse à peine supportable. Il arrivait que ses jambes se dérobent sous lui sans prévenir. Il se réveillait plusieurs fois la nuit en criant. Il suffisait d’un rien, une voix ou une odeur, pour que la souffrance de sa captivité encore récente se rappelle à lui avec toute son acuité. Quelque chose sur ses traits était en train de changer, de durcir. Il ne s’en aperçut pas, car il n’avait aucune occasion de voir son reflet. Il ne put donc constater que ses yeux, très brillants, demeuraient presque toujours largement ouverts et que cela lui donnait un air un peu égaré. Un air furieux, surtout, même quand il ne l’était pas.
    — Il est tiré d’affaire. Un peu plus et il devait réapprendre à marcher, dit l’infirmier à Antoine, tout fier de voir son patient arpenter

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