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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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mort et commença à tailler des bouts de chemise d’environ deux pouces carrés.
    — Plus gros, les morceaux, protesta un homme joufflu.
    Louis n’avait aucune idée de ce qu’il faisait ni du prix que l’on pouvait bien exiger pour ce genre d’articles. Il improvisa :
    — Ils sont bien assez gros comme ça.
    — C’est combien ?
    — Eh bien, euh… disons, six sous pour un bout de chemise, dix pour un bout de corde.
    — Quoi ? Mais tu te prends pour qui, espèce de baillehache ?
    — Justement, pour un baillehache et rien d’autre. Puisque je dois être un bourrel*, aussi bien que j’en sois un bon. Seulement, voilà, il faut y mettre un prix. Ce mort m’appartient. C’est dix sous ou vous passez votre chemin.
    — Bon, bon, brisons là ! Tenez, voilà votre argent. Je veux de la corde. Et un bon bout, hein, à ce prix.
    L’effet de cette exigence fut inattendu : non seulement la plupart des clients potentiels déboursèrent la somme demandée sans rechigner davantage, mais graduellement ils s’adressèrent à Louis avec un minimum d’égards.
    Une fois le cadavre du voleur complètement déshabillé, Louis alla l’accrocher aux fourches du gibet qui se trouvait à moins d’une lieue de la ville, près d’un grand chemin. C’était un endroit envahi par les ronces où ne subsistaient que des ossements anciens empilés dans la fosse. De l’herbe poussait à travers les côtes brisées d’une cage thoracique.
    Une fois sa charrette et son mulet ramenés aux écuries du château, Louis revint en ville avec en tête une idée insensée : il s’en alla aux étuves. Après quoi, il eut envie d’un bon dîner à l’auberge.
    L’aubergiste ne fut pas content, et sa femme alla s’en plaindre au bayle.
    — Nous avons ce bourrel qui ripaille chez nous depuis vêpres ! Non seulement il mange et boit davantage que trois hommes à lui tout seul, mais en plus, il faut que ce soit gratuit ! Imaginez un peu : notre meilleur vin. Et il fait fuir la clientèle.
    — À la vôtre, dit Louis qui vit le groupe de gens d’armes entrer dans l’auberge à la suite du bayle pour se diriger vers la table du fond où il avait pris place.
    Il but à la régalade et reposa brutalement son gobelet sur la table sans plus les regarder.
    — Eh bien, maître, que se passe-t-il ? demanda le bayle à Louis.
    — Rien du tout. J’ai faim, alors je mange.
    — On me rapporte que vous dérangez les clients.
    — Si c’est pas malheureux, donner du maître à cette créature méprisable, s’indigna l’aubergiste.
    — Permettez. Les clients dont vous parlez me sont témoins que je n’ai pas fait de grabuge. Ils sont partis d’eux-mêmes. J’ai tout autant le droit d’être ici qu’un autre. Je suis l’exécuteur des hautes œuvres* de la cité de Caen. Je suis aussi le tortionnaire en chef, le fouettard de service, le gardien des putaineries*, l’éboueur, et toutes ces autres saletés dont personne ne veut. Mais je ne suis pas plus méprisable que vous autres, gargotiers, qui vendez votre eau sale en guise de soupe.
    — Comment osez-vous !
    — Maître Baillehache, du calme, dit le bayle.
    — Je suis très calme. Bon, d’accord, j’admets avoir un peu trop bu. Je vais d’ailleurs m’en tenir là. Mais la soupe était vraiment immangeable.
    Il se leva et fouilla dans l’une de ses poches qui était anormalement boursouflée. Quelques piécettes tombèrent en tintant.
    — Tenez. Voici un peu de cet argent que j’ai honnêtement gagné en vous débarrassant d’un malfaiteur.
    Il lança une poignée de sous en direction du comptoir derrière lequel l’aubergiste et son épouse se tenaient.
    — Une dernière rasade pour la route.
    Il vida sa coupe en terre cuite et la projeta elle aussi contre le comptoir, où elle se fracassa. Les deux tenanciers sursautèrent. Louis grimaça une espèce de sourire et dit :
    — Mais quoi ! Je ne fais que vous exempter de la casser vous-mêmes, puisque personne d’autre n’aurait voulu y boire. Sur ce, adieu.
    Il se coiffa de son chaperon noir et sortit. Tout le monde soupira d’aise.
    — Quel fichu caractère ! Mais au moins il paie bien, dit l’aubergiste.
    Le bayle répondit :
    — Et il a la langue bien pendue, aussi bien que l’a été son client.
    *
    Caen, décembre 1350
    L’hiver planait sur la ville. Le vent charriait des nuages pelucheux dont la panse trop blanche ne pouvait être gorgée de pluie. Il s’amusait aux

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