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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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et ce ne fut qu’à ce moment-là, en se retournant vers sa grille, que Louis se rendit compte qu’il était seul avec l’enfant. Le garçonnet le fixait de ses grands yeux apeurés. Gêné, l’homme ne sut que faire. Il demeura planté là avec sa canne dans les mains et essuya avec sa manche une grosse larme de neige fondue qui lui chatouillait la joue. Il recula un peu afin de permettre à l’enfant de se relever et de partir. Les voisins se hâtèrent de refermer leur porte avant qu’il ne les remarque. Louis se tourna vers l’une d’elles qu’il avait entendue claquer, puis de nouveau vers la grille. L’enfant n’était plus là.
    « Mais qu’est-ce qui m’a pris, à moi ? » se demanda-t-il. Sa colère avait été le fruit de la peur. Une peur qu’il ne comprit pas. « J’ai horreur de voir maltraiter des enfants, c’est tout. J’ai horreur d’en voir autour de l’échafaud. Cela devrait être interdit. » Il se sentit soudain accablé par un profond sentiment d’impuissance. « Cette carne, c’était sa mère, à ce petit. Moi, la mienne m’aimait. Bon, j’ai la fièvre, ou quoi, pour penser à des trucs pareils ? Et, en plus, on gèle ici. »
    Louis se hâta de rentrer et de refermer au plus tôt derrière lui la grille de son jardinet couvert de neige où, dès les premiers beaux jours, allait s’éveiller le souvenir d’Adélie. Il en avait assez des autres pour ce jour-là. Assez de leurs cris, de leurs peines et de leur mépris. Sans parler de leur crasse. Chez lui, c’était son cocon. Il y avait presque la paix.
    *
    Caen, hiver 1353
    Il s’était endormi devant l’âtre, presque immédiatement après avoir fini de souper. Il ouvrit les yeux alors que le jour n’allait pas tarder à poindre. Il chassa vite l’impression que Firmin venait d’essayer de l’attraper pour lui brûler une oreille. Cette vision l’avait laissé angoissé, vaguement nauséeux, et il n’avait aucune envie de se réveiller par terre avec de l’écume au menton, comme cela lui arrivait parfois.
    Courbaturé à cause de la mauvaise posture dans laquelle il avait passé la nuit, assis tout de guingois sur un coffre muni d’un dossier, Louis se leva et s’étira avec précaution. La diminution graduelle des maux de dos de sa jeunesse et leur disparition complète avaient été mises sur le compte de l’activité physique qu’il pratiquait de façon intense depuis quelques années et qui l’avait endurci. Son feu s’était éteint. Il se hâta d’attiser les quelques pauvres braises qui restaient et rajouta du bois. Une odeur d’oignons cuits et de chandelle persistait dans l’air.
    La pièce centrale de sa maison était modeste, mais propre et accueillante. Contrairement à celui de bien des maisons plus anciennes, l’âtre de la sienne était ménagé dans un mur et possédait une vraie cheminée en pierre au lieu du séculaire trou à fumée percé dans le toit. Le mur opposé à la cheminée montrait une porte fermée ouvrant sur une pièce plus petite qui servait de resserre pour sa pharmacie et de chambre d’appoint. Une échelle permettait à Louis d’accéder à une aire ouverte sous les combles dont le plancher couvrait la moitié de la surface totale de l’habitation. Il n’y allait pas souvent. Une table dont l’un des côtés était fixé au mur, un banc, sa couche dans un coin, le gros coffre et des étagères composaient l’essentiel d’un mobilier rustique mais soigneusement astiqué à la cire d’abeille.
    Louis avait le don de vivre dans un endroit sans y apporter aucune touche personnelle. On y eût même cherché en vain ces indispensables chaussons troués attendant patiemment au pied des lits de toute demeure qui se respecte. Il n’avait ajouté aucune décoration à son logis qui avait été conçu pour être fonctionnel et rien d’autre. Tout superflu était impitoyablement absent.
    À cause de ses rares visiteurs, le bourreau de Caen avait en outre pris soin de ne laisser traîner dans la maison aucun instrument de supplice. Ils étaient entreposés à l’écart dans la petite écurie de sa cour arrière où étaient également logés le mulet et la charrette. Une petite basse-cour s’y abritait. L’entretien des instruments lui incombait ; ainsi, billot, croix de Saint-André, hache, chanvre et barre à rompre étaient-ils rangés là, hors de la portée de ses quelques volailles. Il y avait même quelques fagots.
    Ceux qui venaient le voir,

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