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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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dépens des feuilles tenaces d’un chêne dont il parvenait peu à peu à trouer la belle ramure cuivrée. Certaines de ces feuilles allaient se noyer dans l’eau sale d’une rigole.
    Tous les mercredis et samedis, le marché de Caen offrait un spectacle digne des foires. La rue était continuellement encombrée par des charrettes de marchandises qui arrivaient du port ou de l’intérieur des terres, se frayant avec obstination un chemin parmi les étalages et les badauds qui pullulaient en hordes, pêle-mêle, depuis les forestiers mal dégrossis jusqu’aux nobles dames qui ne quittaient presque jamais le secret de leur litière.
    La devanture d’une boutique de pâtisseries fourmillait de jeunes enfants sautillants. Neuf fillettes d’environ sept ans piaillaient autour d’un comptoir de friandises, tandis que cinq garçons un peu plus âgés se bousculaient virilement juste derrière. Le marchand, les yeux au ciel, implorait une intervention divine.
    Si celle-ci ne tarda pas à se manifester, le pâtissier en conçut tout de même de l’amertume. Ce n’était pas cela qu’il avait espéré de la part du Très-Haut.
    Une ombre s’était arrêtée devant sa boutique. Quelques enfants cessèrent instantanément de s’agiter et firent silence avant de s’écarter au plus vite en direction du commerce voisin, celui d’un gastelier*, afin de permettre à l’effrayant personnage de passer. Louis les remercia d’un signe de tête et s’avança.
    — Qu’est-ce que ce sera ? lui demanda le marchand.
    — Cette tarte-là, dit le bourreau qui pointa de sa canne une pâtisserie encore tiède.
    Le pâtissier lui remit la tarte demandée. L’exécuteur la prit et partit sans payer. L’homme se rassit comme s’il ne s’était rien passé. Les enfants restèrent cois, fixant des yeux le bourreau qui, lui, n’avait aucune difficulté à se frayer un chemin à travers la cohue. Des gens se signaient sur son passage. Les pans de son aumusse noire se déployaient au vent comme les ailes d’un gros corbeau en traçant derrière eux un sillage craintif. Il s’arrêta à la boutique voisine. Le marchand renfrogné lui remit sans discuter une de ses bouteilles de cidre. Louis la fit disparaître dans sa besace et passa son chemin. Il fit semblant de ne pas remarquer la marmaille furtive qui avait entrepris de le suivre à une distance respectueuse.
    Un peu plus loin, le boulanger Henri qui lui avait servi d’assistant quelques mois plus tôt avait déjà posé à l’envers sur son étalage le gros pain réservé au bourreau. Cet homme ne savait pas qu’il servait un ancien collègue. Louis prit son pain et s’en alla sans dire un mot.
    Le marchand de haricots secs l’avait vu venir. Il fit cependant mine de rien et continua à s’occuper de ses autres clients. Louis attendit poliment son tour. De nouveaux clients se présentèrent, et le marchand fit exprès de les faire passer en premier ; ils ne se firent pas prier, malgré le fait que l’exécuteur silencieux se tenait juste devant l’un des tonneaux ouverts. Le personnage indésirable ne se découragea pas et continua d’attendre patiemment.
    — Bon, bon, allez-y, enfin, et hâtez-vous de dégager. N’en prenez qu’une fois… Attention, hein, je vous ai à l’œil, finit-il par dire, ayant remarqué que la présence de Louis commençait à éloigner les clients.
    Louis sépara en deux demi-sphères le pommeau en étain de sa canne, ce qui transformait cette dernière en une espèce de louche à long manche. La demi-sphère disparut dans la masse laiteuse des haricots qui produisit un bruit velouté, coulant comme l’eau d’un ruisseau. Louis la souleva et la tint au-dessus du tonneau afin que le marchand puisse en égaliser le contenu lui-même, ce qu’il fit avec un soin exagéré. Après quoi, le bourreau déversa les haricots dans un bout d’étoffe dont il fit un sachet.
    Lorsque Louis fut parti, traînant toujours en remorque un groupe d’enfants dont il ne se souciait pas, le marchand de haricots dit en bougonnant au boulanger, son voisin :
    — Droit de havage* ! Mon fondement ! C’est payer trop cher l’entretien de ce maraud.
    Même si la louche, approuvée par la guilde des marchands {128} , avait été conçue de façon à ce que ses prélèvements soient équitables, de nombreux marchands avaient protesté que les mains de ce géant, souillées par le sang, étaient vraiment trop grandes pour la havée*. Ce nouvel

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