Le jardin d'Adélie
impôt aggravait l’hostilité des gens envers le bourreau dont on disait qu’il était payé à ne rien faire. C’était pourtant loin d’être le cas. Depuis deux mois, lorsqu’on n’avait pas recours à lui en tant que fonctionnaire de la justice, il circulait à travers la ville avec sa charrette qu’il remplissait des immondices et du fumier qui pourrissaient dans tous les coins pour les transporter hors de la ville, près du gibet {129} . Des caniveaux avaient été nettoyés et des chiens errants, tués. Il prenait cependant soin de ne pas tuer les charognards, qui contribuaient à l’assainissement de la ville. Au même homme revenait en outre le nettoyage des douves du château, de même que le ratissage des latrines. Louis était aussi l’équarrisseur de la voirie ; c’était à lui qu’on avait recours pour disposer des cadavres d’animaux morts dont il pouvait conserver les peaux. Grâce à la nouvelle taxe, il était en mesure de s’acquitter de ces travaux souvent très exigeants physiquement. Il lui aurait été impossible de les mener à bien s’il avait souffert, comme c’était le cas de nombreux autres citadins modestes, d’une quelconque carence alimentaire.
Non, Louis n’était pas payé à rien faire entre deux assignations. Chaque jour ouvrable, il se consacrait à ses tâches ingrates de l’aube au couchant. Et, peu à peu, même si on prenait soin de n’en rien dire, on commençait à remarquer les menues améliorations apportées à la ville par le labeur discret du bourreau.
Ce fut cet hiver-là que lui fut attribuée une place, toujours la même, à l’établissement de bains qu’il fréquentait quotidiennement. Bien que toute pudeur fût totalement absente dans les étuves – on se baignait souvent à deux ou à plusieurs – personne n’aurait voulu partager le bain du bourreau. Louis ne s’en plaignait pas, au contraire {130} .
Et il eut enfin son propre toit sur la tête. C’était la toute dernière maison d’une impasse qui sinuait dans un quartier mal famé des faubourgs. Bâtie un peu à l’écart, elle était enclose par un muret. La ville n’allait pas au-delà : derrière cette modeste habitation que l’on avait peinte en rouge se déroulait une lande de cailloux, de ronces et de chardons. Les taudis voisins paraissaient se terrer craintivement autour d’une placette, parmi les fumées grasses de leurs feux de cuisine et des cordées de hardes misérables qui s’agitaient entre leurs murs décrépits.
Les nuages menteurs avaient fini par se décider à crever et, en cette fin de journée, s’étaient mis à semer leurs plumes partout comme des oreillers éventrés. Louis s’en revenait du bain. En vue de sa maison, il s’arrêta et se cacha dans une venelle : deux personnes se tenaient près du pilori désœuvré, qui se trouvait à droite d’une grille fermée, sur lequel un moineau se percha brièvement. C’était un garçonnet d’environ cinq ans et sa mère. L’enfant pleurait et criait, visiblement pris de panique, tandis que la femme le grondait en lui tirant l’oreille. Des voisins étaient sortis sur le pas de leur porte et observaient la scène. Depuis sa cachette, Louis ne put s’empêcher d’écouter ce que la femme disait :
— Je te le garantis que je vais le faire, si tu continues, sale petit garnement : je vais t’abandonner ici, juste devant la maison du bourrel. Baillehache viendra te chercher en te tirant par les oreilles. Et il est si fort, le bougre, qu’elles lui resteront dans les mains. Il va les dévorer et tout le reste avec.
L’enfant hurla de plus belle. Le dos tourné vers l’entrée du cul-de-sac, la femme ne put voir que Louis était sorti de sa cachette et s’en venait vers eux d’un pas rapide. Il avait l’air furieux. Les voisins reculèrent imperceptiblement. Louis rugit :
— C’est toi que je devrais essoriller*, espèce de marâtre !
Une pluie de coups de canne s’abattit sur le dos de la mégère, qui lâcha l’oreille de son fils pour tenter de se protéger. L’enfant trébucha et alla se recroqueviller au pied de la grille, d’où il n’osa bouger, en dépit du chaperon de Louis qui tomba près de lui.
— Que je t’y reprenne, à te servir de moi pour effrayer un gamin. Va-t’en. Disparais et plus vite que ça, ordonna le bourreau.
Il ne cessa de frapper que pour lui mettre son pied botté de feutre au derrière. La femme s’éloigna sans demander son reste
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