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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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pas à faire oublier son bras droit qui accusait un angle incongru au-dessus du coude et de ce fait était inutilisable.
    Surprise, Bertine vit la grille s’ouvrir immédiatement devant elle. Les enfants se turent net et détalèrent en hurlant. La prostituée eut l’impression que son bras la faisait soudain souffrir davantage à la seule vue du bourreau qui la laissa entrer avant de refermer. Elle s’approcha et demanda, l’air séducteur :
    — Me reconduirez-vous à l’autre bout de la ville sur votre mulet avec la face tournée vers son cul, si je vous demande de me soigner, ou bien allez-vous encore me donner les verges ?
    — Qu’est-ce qui ne va pas, cette fois ?
    — Oh, toujours la même chose. J’ai mal à mon bras. Vous reste-t-il de votre axonge ?
    — Oui. Par ici.
    Il la fit entrer dans la maison et referma la porte.
    — Assieds-toi là et attends, dit-il avant de disparaître dans la pharmacie.
    Un ustensile métallique tomba sur le plancher, juste derrière la porte fermée, faisant frissonner la femme. Dieu seul savait ce qu’il pouvait concocter là-dedans. La recette de l’onguent même qu’elle réclamait était connue des seuls bourreaux. On le disait fabriqué à partir de graisse humaine. Selon la rumeur, il y en avait pour traiter toutes sortes de malaises, depuis les rhumatismes dont elle souffrait jusqu’aux hémorroïdes ou aux brûlures, selon le supplice que le bourreau avait fait subir à la personne dont il utilisait la graisse. En fait, son ingrédient principal était tout simplement de la graisse de porc.
    Elle se souvint de la première fois où elle lui avait rendu visite, motivée par la seule nécessité d’inaugurer avec le nouveau patron des relations d’affaires satisfaisantes. Elle n’avait pu s’empêcher de ressentir un certain soulagement à cause de l’apparence physique du bourreau qu’elle n’avait alors jamais vu de près et sans sa cagoule. Elle s’était attendue à trouver quelque brute épaisse, velue et édentée dont elle aurait eu à subir la compagnie malodorante. Or, cet homme-là était propre et bien fait, ce qui l’avait quelque peu rassurée.
    Louis revint avec un pot de terre cuite. Il commença par examiner le fond des yeux de Bertine et huma son haleine. Il s’accroupit devant la femme qui lui sourit. Elle le laissa retrousser la manche lâche de sa robe et il entreprit sans un mot d’appliquer l’onguent sur l’articulation difforme. Le membre demeurait enflé, même si une blessure s’y était déjà cicatrisée. On aurait dit qu’il existait entre Louis et Bertine une sorte de connivence tacite, une complicité naturelle qui ne pouvait se développer qu’entre les représentants de deux castes honnies.
    — Je préfère lorsque c’est vous qui me le faites. C’est encore plus efficace. Vos grandes poignes, j’y ai bien promptement pris goût ! Vous avez le don de faire des massages qui nous ramollissent comme hardes à la lessive.
    Louis ne leva que brièvement les yeux vers elle sans cesser de lui masser l’épaule et le bras avec un certain ménagement. Ses doigts rudes et ses paumes pétrirent des muscles endoloris sans chercher à s’attarder sur des rondeurs que la femme cherchait constamment à frotter contre lui en geignant d’un plaisir sensuel. Comme toujours, il s’acquitta de sa tâche avec un professionnalisme qui frôlait la froideur.
    — Vous ne venez jamais nous voir, sauf pour collecter la taxe. Faut bien qu’on se trouve une raison, n’est-ce pas ? Moi, au moins, j’en ai une bonne. Mais ça ne m’empêche pas de travailler, vous savez ? La plupart des types, ça ne les dérange pas que j’aie un bras de travers pour autant que je sois encore capable d’écarter les jambes.
    — Je sais.
    — Mais j’ai pensé que…
    Elle se tut et se passa la langue sur les lèvres, dérangeant son rouge. Louis se releva et referma le pot d’axonge qu’il posa sur la table. Il se retourna vers Bertine. Elle s’était levée à son tour pour venir tout près de lui. Il demanda :
    — Que quoi ?
    — Personne sauf nous, les femmes de la nuit, ne veut jamais coucher avec ces hommes-là. Je parle de vous autres, bourreaux. Remarquez que moi, je n’ai rien contre vous, hein ? C’est comme ça. Pourtant, vous, on ne vous voit guère. Pourquoi ne montez-vous jamais aux chambres ?
    — En quoi est-ce que ça te regarde ?
    — Eh bien, je me disais que…
    Elle leva la main et se mit

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