Le jardin d'Adélie
sur leurs étagères dénuées de la moindre poussière. Des tresses d’aulx pendaient du plafond en compagnie de bouquets d’herbes qui dégageaient un arôme flétri où se reconnaissaient la sauge, la menthe et l’écorce d’orange. Aucune monstruosité ne traînait sur le plan de travail, et les murs de la pièce étaient blanchis à la chaux. La couche était étroite, mais semblait confortable. Elle avait été déplacée au centre de la pièce. Louis y avait étendu des draps frais ainsi qu’une couverture de laine.
— Prends place, lui ordonna-t-il en montrant le lit. Ce qu’elle fit nerveusement.
— Dois-je enlever ma robe ?
Au lieu de lui répondre, Louis entreprit d’aider Bertine à extraire son bras handicapé de son corsage délacé. Il était d’une délicatesse surprenante. Cela fait, il prit le bol en bois et le maintint pour elle, même si elle le tenait d’une main. La boisson amère et fétide fut entièrement avalée ; Louis ne lui en laissa guère le choix, même lorsqu’elle lâcha le bol en s’étouffant presque. Il l’aida à s’étendre doucement. Bertine offrit un sourire rassurant à son frère qui observait tout depuis le coin le plus reculé de la pièce. Lui-même paraissait étonné par la douceur du bourreau.
— Récite avec moi le Pater Noster, dit Louis.
Elle cligna des yeux un instant inquiets, mais obéit.
— Notre Père, qui êtes aux deux, que Votre nom soit sanctifié…
Tout en récitant avec elle, Louis mit le bol de côté et s’assit au bord du lit. Penché au-dessus de sa patiente, il guetta les premiers signes de l’action anesthésique qui se manifestaient déjà : la respiration de Bertine s’alourdissait. Ses pupilles se dilatèrent à l’extrême.
— Que Votre règne arrive… Que Votre volonté… soit faite… sur terre… comme… au c…
— …Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien, continua seule la voix de Louis. Silence. Il attendit.
Le bourreau n’avait qu’une vague connaissance du geste médical qu’il venait d’accomplir, soit l’administration d’une drogue qui inhibait partiellement le système nerveux et provoquait une paralysie des terminaisons nerveuses. Il tâta la poitrine et l’abdomen de sa patiente afin de vérifier l’état de relaxation des muscles et surveilla sa respiration. Une fois qu’il se fut assuré que Bertine dormait paisiblement et que sa vie n’était plus en danger, il se leva.
— Que fait-on, maintenant ? demanda le paysan qui, peut-être par l’effet d’une soudaine révérence, avait enlevé son couvre-chef et le triturait nerveusement. Louis se tourna vers lui et répondit :
— Je vais commencer par l’examiner.
— Ah, bien…
Il se détourna et entreprit de palper la chair flasque afin de trouver la position exacte de l’os. Le paysan remarqua l’application avec laquelle le bourreau travaillait, ainsi que la façon qu’il avait de pincer les lèvres, et il se demanda s’il arborait la même expression lorsqu’il était penché au-dessus d’une victime torturée.
— Approche, dit soudain Louis, interrompant le cours lugubre de ses pensées. Maintiens-lui le bras au niveau de l’épaule. Tiens-la bien. Il faut que je le casse au même endroit. Soutiens son coude. Tends son bras. Comme ça.
L’homme s’arc-bouta et suivit les recommandations de Louis au fur et à mesure qu’il les lui servait. Le paysan abaissa les yeux sur la fleur de lys dont Louis avait marqué sa sœur à l’aide d’un fer rouge un an plus tôt {133} . Une main de chaque côté de la fracture, là où se trouvait l’angle anormal, l’exécuteur empoigna solidement le bras de Bertine. Il tâta une fois encore l’os brisé et leva les yeux sur le paysan :
— C’est presque tout ressoudé. Attention, j’y vais.
Après s’être assuré une bonne prise, il exerça une brusque pression sur la courbure anormale du bras. L’os céda avec un craquement sinistre.
— Bon Dieu de bon Dieu, dit le paysan d’une voix tremblante.
Bertine remua et gémit, mais ne se réveilla pas. Sans plus attendre, Louis se mit à pétrir le bras cassé à la recherche de la nouvelle fracture : il appréhendait la présence d’éclats d’os. Il n’en trouva heureusement pas. La cassure était nette et au bon endroit. Le paysan le dévisageait, bouche bée. Il fallait qu’un homme soit doté d’une force physique exceptionnelle pour être en mesure de rompre ainsi un os à mains
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