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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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Ratier avait transformé la perspective d’une partie de plaisir en corvée dont il valait mieux se débarrasser au plus vite.
    — Mais oui, tu m’accompagnes aux bains. Et arrête de me regarder comme le niais que tu es. Tiens, tu mettras ça puisqu’on devra s’endimancher.
    En disant cela, il lui lançait à la figure un ballot assez léger maintenu par une cordelette de chanvre. C’était un ensemble acheté auprès d’un fripier de la rue Tirechape, près du marché sis en place de Grève : Louis déplia une tunique toute simple en drap naïf* gris et les braies assorties. Ce dernier vêtement, qui était en fait un caleçon, pouvait être porté en guise de culottes. Une paire de sabots que l’enfant n’avait pas remarquée attendait près du coffre. Il caressa le tissu grossier, sans oser encore se montrer trop heureux. C’était comme à la Noël. Après la journée qu’il venait de passer, quelque chose d’anormal survenait encore. Mais il fut obligé de patienter pour recevoir des éclaircissements, car il restait un peu de travail à faire avant d’aller au lit.
    Sur l’établi de la cuisine, un pâté en pot appartenant à un voisin attendait d’être mis à cuire en amorti. Firmin demeura dans la cour pour fendre, comme chaque soir, le bois qui allait servir à la fournée du lendemain. Il le taillait en quartiers convenant aux dimensions du foyer, tandis que Louis se chargeait de transporter les bûches à l’intérieur pour les empiler au sec. Il en fallait beaucoup, car un boulanger pouvait brûler jusqu’à cinq cents kilogrammes de chêne par jour. Il était étonnant que Firmin, dans l’état où il se trouvait, ne se blessât pas, à la vitesse avec laquelle il abattait sa besogne. Seule une longue habitude pouvait expliquer son étonnante adresse. Louis se hâtait pour suivre le rythme de production de son père, malgré la fatigue de sa journée, et même s’il se plantait une écharde. « Les échardes, tu te les enlèves le dimanche, lui disait Firmin, et avant de songer à t’en plaindre, dis-toi bien que dans la vie tu as le choix : ou bien tu endures, ou bien tu crèves. »
    Outre le beau four en maçonnerie qui faisait la fierté de Firmin, le bâtiment de la cuisine comportait un grand pétrin, des étagères au mur et des panetons vides empilés sur le sol. Dans le prolongement du fournil, on trouvait la farinière*, une petite pièce où le boulanger allait s’allonger lorsqu’il ne pouvait s’éloigner du four.
    Une fois le bois prêt pour le lendemain, Louis devait passer le balai. C’était une tâche insignifiante, mais il s’en acquittait toujours avec grand soin, car Adélie lui avait dit que la façon dont un apprenti balayait le fournil démontrait l’attention qu’il portait à la propreté de son lieu de travail. Et la propreté d’une boulangerie était primordiale.
    — Allez, allez, finis-en, qu’on s’en aille au pieu, grommela Firmin. Demain on va chercher ta mère. L’abbé veut nous voir tous les deux.
    Louis s’immobilisa un peu et s’agenouilla pour ramasser un petit tas de poussière qu’il s’en alla jeter dehors. À sept ans, il lui était parfois pénible de se cacher derrière son personnage. Il pouvait survenir des événements inattendus, comme ceux de ce soir, qui faisaient que sa spontanéité naturelle reprenait le dessus. Il s’essuya les mains sur ses cuisses et s’approcha enfin de Père, avant de lui demander avec hésitation :
    — S’il vous plaît, Père… Qu’est-ce que c’est qu’un abbé ?
    Firmin scruta attentivement l’expression de son fils. Quelque chose n’allait pas. Il était temps d’y remédier, surtout à l’occasion de cette visite au cours de laquelle une remarque inconséquente pouvait échapper à un enfant trop confiant.
    — C’est un homme qui me ressemble un peu, sauf qu’il est drôlement vêtu. Il porte toujours une espèce de corde avec des grains sur lui. Ça lui sert à pendre les morveux comme toi quand ils parlent trop. Alors, je te préviens : vaut mieux que tu te taises.
    Louis blêmit. Son père l’avait un jour emmené en promenade sur le chemin aux Vaches à l’insu d’Adélie. Il l’avait conduit tout droit au gibet de Montfaucon, ce terrifiant monument de la Justice, pour lui montrer des cadavres de pendus. Longtemps après, cette vision de cauchemar avait continué à le hanter et à le réveiller en sursaut, la nuit. Le moindre craquement de madrier ou

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