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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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s’assurer de la véracité de ces dires.
    Avec Firmin, comme avec tout autre ivrogne impénitent, le moindre geste était sujet à caution. Son manque de subtilité lui était presque une insulte. Tout le quartier était au courant des sévices qu’enduraient Adélie et son fils, mais personne ne souhaitait intervenir. L’abbé encore moins que les autres. Ce n’était pas dans l’intérêt de l’abbaye. Après tout, ne valait-il pas mieux s’attarder davantage sur l’immersion sacrée du baptême qu’avait reçue le petit Louis pour le salut de son âme, plutôt que de tenter de sauver son corps ? Les hommes ne devaient-ils pas apprendre le mépris de leur chair faible et périssable ? La souffrance physique ne durait qu’un temps, alors que les tourments de l’enfer étaient éternels. Les délices du bleu Paradis, elles aussi, allaient être éternelles pour quiconque tendait vers la sainteté. Là devait se trouver la consolation de la douce et pieuse Adélie, dans l’attente du Jugement dernier. Cependant, l’esprit pratique d’Antoine prit le dessus et il crut quand même bon de dire :
    — Cet enfant n’a pas bonne mine, il me semble. Son sang n’est pas assez riche. Il doit tenir cela de sa mère, à qui j’ai pourtant bien recommandé davantage d’aliments chauds et humides {18} . Au moins deux fois la semaine. Cela vaut pour le petit aussi. Tu veux dire quelque chose ?
    — Oui. Vous… vous avez donc vu le Ra… euh, mon… mon fils ?
    — Le quoi ? Qu’allais-tu dire ? Bon, laisse. Et cesse de me regarder avec cet air de lièvre prêt à être abattu. Oui, j’ai vu ton fils. Ou plutôt je l’ai aperçu à une ou deux reprises. Qu’y a-t-il de mal à ça ?
    — Rien, rien…
    — Ne t’inquiète pas, il ne faisait rien de blâmable. Je puis même t’assurer qu’il travaillait à ta boulangerie, comme tout bon apprenti de sept ans est en mesure de le faire.
    — Oh, c’est bon, ça, euh… et lui avez-vous parlé ?
    — Non. Je n’ai pas cru nécessaire de le déranger pendant le travail.
    — Ma femme le fait exprès, c’est sûr, pour ne pas m’en donner d’autres… Des fois, je ne peux m’empêcher de croire qu’elle prend des tisanes diaboliques pour les faire passer.
    — Adélie est une bonne chrétienne. Jamais elle ne ferait une chose pareille. J’ose espérer que tu plaisantes.
    — Ouais, répondit l’ivrogne, qui n’eut pas envie d’en débattre. Antoine n’était pas né de la dernière pluie et Firmin le savait. Mieux valait donc ne pas insister.
    — Je n’ai, hélas, jamais eu l’occasion de parler à ton fils. Mais, cette occasion, nous l’avons maintenant, n’est-ce pas, Firmin ? Allons-y. Il doit être bien las de nous attendre.
    *
    L’odeur d’un jeune rosier s’infiltrait par une porte laissée ouverte sur une autre partie de la cour entourée par les bâtiments conventuels. Tout près de là, une fontaine entourée de pelouse impeccable fredonnait doucement. C’était tout ce que Louis avait eu le temps de parcourir, un peu trop rapidement à son goût. Le doyen de l’abbaye, un vieux moine tout rabougri et presque aveugle, venait de l’éconduire du plus beau jardin qu’il eût jamais vu, plus beau même que celui de ses rêves. Il continua donc à se promener dans la cour, explorant ses moindres recoins. Il y avait tant à voir. Tout était d’une propreté irréprochable, sous les rayons dorés du soleil. Il se sentait lui-même envahi d’un profond bien-être à cause de son bain de la veille et de ses habits neufs dont le contact était encore étranger à sa peau.
    L’expérience du bain avait été merveilleuse, inoubliable. Les étuves du Palais, à la pointe de la Cité, là où il s’était rendu en compagnie de son père, étaient ce qu’un bourgeois bien nanti pouvait s’offrir de meilleur. Elles étaient munies d’une grande chaufferie et d’un fournois* où l’on mettait les pots destinés au chauffage des cuves ; Louis avait entrevu des pièces aménagées pour la sudation et une piscine ; l’on trouvait aussi des baignoires privées pour les riches ou les malades. Les pieds nus du garçon s’étaient posés sans crainte sur un pavement en pierres douces. Entre des murs lambrissés de bois d’Irlande et des portes accueillantes en fer treillissé, les grandes cuves, elles aussi en bois d’Irlande, étaient cerclées de cuivre. Les deux baigneurs avaient pu y disposer de deux fonds de

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