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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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velouté. Son chaton ne bougea pas.
    — Eh ! appela Firmin. Mais Louis ne se soucia pas de lui. Le garçon reniflait bruyamment, et de grosses larmes allaient se perdre dans le pelage doré de l’animal.
    — Tu m’excuseras, hein, je l’ai pris pour une vermine, dit Firmin.
    Louis ne réagit toujours pas. Avec une cruelle insistance dictée par son besoin puéril d’être remarqué et craint, Firmin se mit à taquiner Louis, cette autre vermine, avec le bout de son bâton. D’abord, Louis ne fit rien : les coups pouvaient bien venir, maintenant, cela n’avait plus aucune importance. La trahison de son père était pire.
    Car à travers ses yeux mouillés de nuit, Louis pouvait voir que Petit Pain avait le cou tordu.
    Firmin demanda, sans cesser de donner à son fils d’agaçantes poussées dans le dos :
    — Dis donc, qu’est-ce que t’as à pleurnicher comme ça ? Ça n’est jamais qu’une bête morte. Tu as l’habitude, pourtant.
    C’était la stricte vérité. Louis tuait toutes sortes de petits animaux sans remords. Pourquoi la perte de ce chat lui causait-elle tant de chagrin ? Petit Pain avait-il été différent parce qu’il l’avait aimé ?
    L’amour… Peut-être qu’il lui était défendu d’aimer. Mais pas de haïr.
    Louis se retourna brusquement et, la mâchoire saillante, empoigna le bâton des deux mains. Il se releva lentement devant son père paralysé d’étonnement. Après avoir fait quelques pas sans lâcher prise, ce qui contraignit Firmin à reculer, il repoussa le gourdin. Des larmes plein les yeux, il dit :
    — Je n’en aimerai plus, de bête. Ça ne me sert à rien d’essayer d’être bon, vous n’êtes jamais content. Je serai mauvais.
    Toujours sans bouger de l’endroit où Louis l’avait repoussé, Firmin regarda son fils ramasser tendrement le chat mort et l’emporter dans un coin de la cour pour l’ensevelir.

Chapitre III
    (Ignis sacer)
    (feu sacré)
    Paris, Fête-Dieu 1344 {31}
    Il faisait si chaud que les promeneurs étaient rares en ce début d’après-midi férié. L’air de juin était brûlant, immobile, et il distillait une lumière argentée qui semblait ralentir la ville tout entière comme pour un long dimanche. Adélie était reconnaissante de cet état de choses, vu les circonstances.
    Firmin et Louis passaient la journée en ville, chacun de leur côté. Adélie, quant à elle, avait décidé de rester à la maison à cause de la chaleur que sa grossesse avancée rendait plus pénible encore. Heureusement, le feu allumé dans l’âtre au matin pour réchauffer un reste de soupe ne subsistait plus qu’à l’état de braises.
    L’étrange sensation avait commencé peu après le repas du midi qu’elle avait pris en solitaire. Cela passa presque inaperçu, au début : elle s’était mise à se sentir vaguement ivre. Il lui fut aisé de mettre cela sur le compte de la chaleur accablante qui régnait dans la cuisine. Elle décida donc d’aller prendre un peu le frais à l’ouvroir, une fois son ménage terminé. Mais le malaise, au lieu de décroître, s’amplifia. Elle se sentit bientôt trop étourdie et dut s’asseoir.
    Peu après, elle le vit. Pendant une seconde à peine, mais ce fut suffisant. Elle se persuada que c’était lui. Il était venu la chercher. Une espèce d’ivresse fébrile l’envahissait qui allait croissant. Elle se leva pour le rejoindre et se mit à danser, hilare. Soudain, il disparut. Elle s’étonna du bruit de son propre corps qui s’écroulait.
    « Comme c’est curieux. Je n’ai même pas senti la chute », songea-t-elle en se retournant sur le dos. Elle s’assit et rit un peu. La pièce se mit à tournoyer d’une façon insupportable. Elle se laissa retomber et ferma les yeux. Ce fut alors qu’elle prit pleinement conscience de l’étrangeté de ses sensations.
    — Ça ne va pas bien du tout, là, marmonna-t-elle à voix haute dans l’ouvroir désert.
    Elle avait bien essayé. Mais à présent il n’était plus question de poursuivre le travail. Cela devenait trop dangereux. Avec grand-peine, Adélie se releva et ferma les volets. Dans la pièce à vivre, le reste de braises qui avait subsisté dans l’âtre s’était éteint. Combien de temps était-elle donc restée étendue sur le plancher frais de l’ouvroir ? Aucune importance. Elle n’en pouvait plus. Elle monta à la chambre et s’étendit sur le côté, par-dessus les couvertures.
    Il faisait de plus en plus chaud.

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