Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
Vom Netzwerk:
arrivent, les deux, là, ceux dont tu parlais ?
    — J’en sais rien, moi. Hé, redonne-moi mon écharpe, gredin.
    Les enfants renoncèrent avec un peu de regret à la campagne qu’ils venaient d’entreprendre contre les Anglais. Ils se consolèrent vite dans la salle de l’étage chauffée par des braseros, où les rejoignirent les deux mères chargées de ballots de linge brossé à étendre. La nourriture et les boissons que l’on monta furent englouties dans un joyeux tintamarre faisant écho au bavardage des adultes au rez-de-chaussée.
    — Louis, tu n’as rien mangé encore. Tiens, dit Églantine qui lui offrit un petit pâté au fromage.
    Un bon vin avait remplacé l’hypocras. Il avait donné des couleurs à la jeune fille et ravivé le scintillement de ses yeux. Il semblait également avoir relâché sa réserve, car elle dit encore :
    — Il y a d’autres hors-d’œuvre sur la table. Sers-toi. Il faut que j’aille voir les jeunes en haut, ça crie un peu fort tout à coup.
    — Bien, dit-il, un peu surpris.
    Il parvint à se faire vaguement oublier en prenant place sur un coffre dans un coin et entreprit d’écouter un débat enflammé mené par Bonnefoy qui mâchait des hors-d’œuvre avec enthousiasme.
    — … Une croisade d’un genre nouveau commence en effet dans le monde. Elle est sans doute moins poétique que celles de nos pères, mais, pardieu, quelle aventure ! On n’a désormais plus besoin de se mettre en quête de la sainte lance, ni du Graal, ni de l’Empire de Trébizonde {45} . Les trésors qu’on s’en va chercher sont des épices, et les chevaliers sont des marchands.
    Louis goûta cette façon cartésienne de voir les choses.
    — Attention au pichet, Thibaut, dit la mère Bonnefoy que les gesticulations de son mari rendaient un peu nerveuse à cause de la proximité de sa plus belle vaisselle.
    Elle tenait beaucoup à cet objet précieux en céramique sans bec verseur, d’une chaude teinte légèrement orangée décorée d’un délicat feuillage d’oliviers. À proximité, il y avait aussi une luxueuse carafe en verre. De plus, la table était garnie de tasses. Elles n’étaient pas émaillées à l’intérieur et ressemblaient à des fleurs, avec leur rebord en six lobes. L’hôtesse s’était mise en frais.
    — Il y avait bien un début de querelle en haut, dit Églantine, qui revint s’asseoir aux côtés de Louis.
    Il tourna la tête et la regarda sans dire un mot. Il se demanda comment il avait fait jusque-là pour ne pas remarquer à quel point Églantine était jolie. Les longs cheveux bouclés de la jeune fille étaient blonds comme le blé mûr qui ondulait au soleil et que son père savait si bien transformer en farine grâce à la force de l’eau. Son teint pâle était pareil à celui des princesses de légende. Ses joues semblaient aussi douces que des fruits mûrs, dont elles devaient aussi avoir le parfum. Ses iris, d’un bleu gris parsemé de particules ambrées, détaillaient l’adolescent avec un intérêt soupçonneux. Il remarqua que le rebord de son jupon de mollequin* dépassait légèrement de ses jupes. De seulement la regarder lui procurait d’étranges frissons de plaisir qui n’avaient rien à voir avec ceux qu’il connaissait ; ils ressemblaient plutôt à ceux qu’il éprouvait après certains rêves.
    Églantine, quant à elle, était troublée par le contact presque charnel de ce visage farouche, de ce regard d’inconnu émaillé d’inquiétantes lueurs viriles. Il lui faisait peur et, inexplicablement, l’attirait tout à la fois. Elle qui n’avait jamais beaucoup apprécié ses visites s’était soudain mise, contre toute logique, à espérer sa présence. Le gamin mal fichu et détestable de ses souvenirs, qui avait toujours eu le don de l’exaspérer avec ses mauvais tours, n’existait plus. Pourtant, il semblait avoir été remplacé par quelque chose de bien pire encore. L’épisode du chien aurait dû suffire à la tenir éloignée pour le reste de son séjour. Or, il n’en était rien. Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait. C’était comme si elle n’avait jamais vraiment vu le garçon auparavant. Il n’était plus pareil.
    — Tu… tu ne t’ennuies pas trop ? lui demanda-t-elle.
    — Non.
    Il but une gorgée de vin.
    — Tu m’en veux, n’est-ce pas ? demanda la blonde Églantine avec hésitation.
    — Mais non. Ça m’est égal.
    — Ce que je t’ai dit tout à l’heure…

Weitere Kostenlose Bücher