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Le jeu de dupes

Le jeu de dupes

Titel: Le jeu de dupes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne-Laure Morata
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là, mes seigneurs, y vous ouvriront pas !
    – Et pourquoi cela ?
    – C'est que leur maîtresse a été arrêtée ce matin.
    Déconcertés, les gentilshommes encouragèrent la domestique à poursuivre ses confidences à l'aide de pièces qu'elle fourra dans ses poches avec avidité.
    – Oh, ben vous savez, ça lui pendait au nez. Vot' dame, enfin si on peut dire, et toute sa clique, ils menaient la fête chez l'comte d'Aubijoux, un de ses soupirants… Tout ce beau linge faisait ripaille comme d'habitude rue des Saints-Pères. Pour sûr, cen'est pas le genre à se priver même pendant le Carême ! Rendez-vous compte, mes seigneurs : ils ont osé jeter leurs restes de viande par la fenêtre. Et là ils n'ont pas eu de pot, continua la grosse femme en s'étranglant de rire, un os est tombé direct sur un prêtre, de Saint-Sulpice par-dessus le marché ! Ah y'a pas à dire, le cureton alerté, il a pas aimé… Faut dire que la compagnie du Saint-Sacrement, c'est pas des enfants de chœur. Le vice, eux, ils s'y connaissent : si tu files pas droit ils te rappellent au bon souvenir des flammes de l'enfer. Ils ont fait enfermer plus d'un drôle, soupira la matrone en faisant claquer sa langue. Ça fait plus de vingt ans qu'ils causent des dégâts dans le quartier… Pour en revenir à notre affaire : le bailli a été saisi. C'est qu'il y a eu, comme y disent, pro-fa-na-tion, conclut-elle en prenant plaisir à articuler chaque syllabe.
    Attirées par la voix puissante de leur interlocutrice, plusieurs personnes se mêlèrent à la conversation. Nos gentilshommes apprirent ainsi que Ninon, malgré ses protections et sa relation privilégiée avec le Grand Condé, s'était retrouvée convoquée manu militari au Palais-Royal devant une Anne d'Autriche n'aimant pas plaisanter vis-à-vis de tels manquements, surtout lorsqu'ils étaient commis par une proche de Monsieur le Prince qu'elle haïssait cordialement. Son arrogance, les quolibets publics dont il se délectait envers le cardinal, seul être en qui elle ait confiance, l'irrespect manifeste des décisions royales… tout cela passe encore. Seulement voilà, le Grand Condé avait dépassé les bornes en l'humiliant profondément en tant que femme : il avait osé demander à Jarzé, un officier de sa coterie, de lui faire une cour éhontée au vu et au su de tous,persuadé qu'elle allait céder au beau ténébreux, avide de la ridiculiser, elle, et par ricochet son Mazarin qu'il abhorre. La régente avait bien tenté avec tact de se défaire d'un amoureux transi dont elle n'avait que faire, mais l'intéressé n'en avait eu cure et elle fut obligée de le rappeler publiquement à l'ordre avant de devoir, toute honte bue, subir la mortification de s'en expliquer auprès du prince, furieux qu'elle ait osé insulter son protégé. La reine ne le lui avait jamais pardonné, et ses longs mois en captivité devaient beaucoup à sa totale ignorance de la psychologie féminine.
    François et Javier se regardèrent, inquiets. Avec de tels faits les choses pouvaient très mal tourner pour la jeune courtisane. Elle risquait fort d'être le sujet d'une lettre de cachet ordonnant son enfermement au couvent pour expier ses fautes. Les deux gentilshommes laissèrent le petit attroupement décider du sort qui serait réservé à la pécheresse et filèrent ventre à terre au palais.
    Il y avait foule devant les appartements royaux : les courtisans se pressaient, avides de voir la déchéance de Ninon qui, par sa liberté de parole et son mode de vie libertin, s'était attirée beaucoup de rancœurs et d'envie. Anne d'Autriche faisait les cent pas devant la présumée coupable prostrée à ses pieds. Son teint, très pâle sous l'effet de la colère, contrastait avec les nuances cramoisies de ses pommettes, rappelant le rouge à joues à la mode espagnole dont elle usait autrefois avant d'être veuve. La reine était d'autant plus remontée qu'elle avait surpris ce matin-là un freluquet en pleine déclamation, répétant ces vers conspuant Mazarin qu'il jugeait cocasses :
    Lorsque je pense à ce voleur
    Contre moi-même je me fâche
    Au front me monte la chaleur
    Lorsque je pense à ce voleur
    De Paris il est le malheur
    Et Paris toutefois le lâche
    Après avoir dix ans volé
    Que nous sert qu'il soit exilé ?

    La régente avait exigé qu'on chasse sans ménagement l'imprudent non sans obtenir le nom de l'auteur : l'exécré Scarron, ami de la trop célèbre courtisane

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