Le jeu de dupes
sommeil comateux pour émerger complètement désorienté, croyant parfois être de nouveau emprisonné au fond d'un cachot. Pourtant Henri retrouvait sa lucidité par intermittence pour demander où en étaient les recherches sans qu'on puisse le rassurer.
François se sentait terriblement angoissé en pensant au sort réservé à son épouse : les jours se succédaient et il se retrouvait dans l'impuissance la plus totale. Ce matin-là, à peine habillé, il décida d'aller aux Trois Portes, espérant du nouveau ou tout du moins voir son ami Belfond. Le jeune homme avait été extrêmement surpris lorsque Simon lui avait révélé que l'éminent helléniste n'y venait plus régulièrement comme de par le passé. Il le fut encore plus en en apprenant la raison : le professeur était amoureux et faisait sa cour à une jolie veuve qui avait réussi à l'extraire de son célibat de vieux garçon timide. François était curieux de rencontrer la créature capable d'accomplir un tel exploit.
Simon fut surpris et peiné de voir le gentilhomme de si bon matin ingurgiter de l'alcool en guise de petit déjeuner, particulièrement à cette période de l'année où tout bon chrétien était censé pratiquer l'abstinence et le jeûne. Il le servit néanmoins, sans faire de commentaire, respectant par ce silence son chagrin.
François savait pertinemment que la solution n'était pas de se réfugier dans la boisson, pourtant il avait atteint un tel degré de frustration et de douleur qu'il ne voyait pas d'autre possibilité pour anesthésier sa détresse. Il était prêt à tous les combats pour délivrer Nolwenn, la cruauté du sort voulait qu'il n'ait pas le moindre élément auquel se raccrocher. L'imaginer en danger, impuissant à l'aider, déjà morte peut-être, le rendait fou. Gervais, qui avait proposé de l'accompagner, s'était fait sèchement rabrouer faisant les frais pour la première fois de sa mauvaise humeur, la sollicitude du valetn'étant pas de taille à atténuer l'ampleur de son désarroi.
François vidait godet sur godet ; toutefois l'entrée dans l'établissement de Javier de San Juan le dessoûla immédiatement. L'Espagnol fit mine de ne pas voir le pichet vide sur la table et, après avoir pris de rapides nouvelles de son cousin, il en vint à la raison de sa venue.
– François, j'ai réfléchi, ne serait-il pas concevable que l'enlèvement de votre épouse ait un rapport direct avec la venue chez vous de Violette ?
En prononçant le prénom de la défunte, sa voix trembla mais il se reprit fermement pour continuer :
– À la fin de l'année dernière elle m'avait annoncé qu'elle quittait son logement pour aller passer quelque temps chez sa meilleure amie. No pude disuadirla 2 . Elle voulait s'éloigner de moi certainement pour me protéger. Violette était assez secrète et ne m'a jamais révélé le contenu exact de ses activités. Aurait-elle pu entraîner Nolwenn dans son goût de l'intrigue ?
– J'ai du mal à l'imaginer… cependant il faut bien avouer que je ne savais pas qu'elles s'étaient vues à Paris. Je ne crois pas Nolwenn capable de me cacher quoi que ce soit ; néanmoins aucune possibilité n'est à écarter, dit-il, sceptique. Qui est cette amie dont vous me parlez ?
– Ninon de Lenclos. C'est une personne charmante dont le salon est fort réputé.
François devina qu'il devait s'agir d'une courtisane tout comme Violette.
– Puisque c'est la seule piste que nous ayons, allons la rencontrer…
Javier se permit un léger toussotement, François comprit qu'il n'était guère présentable et alla faire une rapide toilette à l'étage avant de redescendre beaucoup plus frais. Les deux compères partirent au trot en direction du Faubourg Saint-Germain, prenant garde d'éviter les artères où se massaient les badauds. La foule voulait assister au passage des princes en route vers le parlement pour remercier les conseillers de leur soutien et recevoir leur amnistie, expression du ralliement des deux frondes n'inaugurant rien de bon pour la royauté.
Connaissant le mode de vie de la galante demoiselle, ils ne furent pas surpris de trouver portes closes à son adresse. Par contre, ils s'étonnèrent qu'aucun valet ne réponde pour prendre leur commission alors que François était persuadé d'avoir entendu des voix provenir des écuries. Leur stationnement devant l'hôtel particulier attira l'attention de la bonne du logis voisin.
– Ça ne sert à rien d'attendre
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