Le jeu de dupes
la scène car, pour une fine mouche de son acabit, il était malaisé de ne pas prendre conscience du lien invisible reliant ces deux êtres qui serait difficile à dissimuler à l'infortunée Madame de Rohan Montauban. Gabriela, observant Mizgin, comprit elle aussi la situation et l'entraîna sous prétexte de rejoindre une relation commune. Ninon se fit quant à elle accompagner au bord du lac artificiel par François et le mit en garde contre la belle Persane.
– François, vous menez votre vie à votre guise et je serai la dernière à vous juger ; cependant faites très attention aux charmes vénéneux de ma camarade, elle n'est pas ici par hasard… Elle a causé la ruine de plus d'un admirateur et cela me chagrinerait que vous en soyez la victime.
Son interlocuteur s'abstint de répondre, Arnaud, Louise et Nolwenn les rejoignant pour les présentations. Ninon se montra enchantée de faire la connaissance de la cousine de Violette et Nolwenn fut heureuse de pouvoir échanger des propos avec une personne qui l'avait côtoyée et qui l'appréciait. François, silencieux, se tenait à l'écart. Arnaud, sous prétexte d'aller chercher des boissons pour ces dames, l'attira à sa suite pour s'informer du résultat de sa conversation avec son épouse. Son beau-frère se contenta de soupirer en haussant les épaules. Arnaud n'insista pas et prit deux coupes de vin de champagne imité par son camarade qui, bousculé par un assoiffé, ne put s'empêcher d'en reverser le contenu sur un aristocrate qui arbora une mine peu avenante en identifiant son arroseur.
– Encore vous, s'exclama François-Jacques d'Amboise, comte d'Aubijoux, seigneur de Castelnau de Lévis, lieutenant général en Languedoc, gouverneur de Montpellier, en dévisageant l'olibrius qui l'avait bousculé chez Ninon de Lenclos.
D'un naturel plutôt affable, il s'offusqua des piètres excuses renouvelées de l'énergumène jugé par trop antipathique et ce fut Arnaud qui calma le jeu. D'Aubijoux, agacé, s'en ouvrit plus tard à Ninon qui tenta de le convaincre que François de Rohan Montauban était un gentilhomme de qualité simplement en proie aux affres de la vie conjugale.
– Ma bonne amie, je crois que c'est plutôt son infortunée épouse que je plaindrais à votre place, conclut-il en jetant un regard plein de compassion à Nolwenn que sa complice venait de désigner discrètement du menton, décidé à aller la saluer et à l'égayer un peu.
Tout le reste de la soirée, François prit garde d'éviter le comte et, suivant les conseils de Ninon, ignora Mizgin, mais la fière courtisane ne l'entendait pas de cette oreille et profita du feu d'artifices donné en soirée pour approcher tel un grand fauve de sa proie.
– Alors, chuchota-t-elle à François, se servant de la pénombre pour se coller à lui, on me fuit ?
– Madame, je suis accompagné et vous comprendrez…
– Oh, pauvre petit mari à la dévotion si bourgeoise pour sa tendre moitié qui porte haut les couleurs de son amour à ce que je vois, se moqua-t-elle en faisant un geste goguenard pour imiter le ventre déjà rebondi de Nolwenn. J'ai appris la terrible épreuve qu'a traversée votre compagne. Quellegénérosité de les accueillir avec tant de simplicité, elle et son bâtard. Sait-elle au moins lequel de ses geôliers l'a engrossée ?
À peine le dernier mot lâché, elle s'enfuit vers une des allées du jardin, quittant la terrasse où tous étaient regroupés. François, hors de lui, la rattrapa à quelques mètres de là, lui tordant violemment le poignet, l'obligeant à faire volte-face.
– Vous avez de la chance d'être une femme sinon vous paieriez de votre vie vos insultes. Ne répétez jamais ce que vous venez d'oser proférer…
– Dans le cas contraire, que me ferez-vous, dites-moi… je sens que je vais adorer, souffla-t-elle en haussant le ton.
François, craignant qu'on ne les remarque, l'attira sans ménagement vers un bosquet et la plaqua contre une haie.
– Ne vous avisez plus de parler ainsi de mon épouse et tenez-vous loin d'elle !
– Excellent, fit Mizgin en battant des mains d'un air narquois. Vous avez pleinement joué les époux protecteurs et je suis contrite de vous avoir blessé. Maintenant assez de simagrées et passons aux choses sérieuses, sinon pourquoi m'auriez-vous suivie jusqu'ici, si ce n'est parce que votre épouse vous dégoûte ?
Levant le bras, François la gifla à toute volée en ordonnant d'une voix
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