Le jeu de dupes
Condé, contre tous et se dirigea vers les écuries à la recherche de l'apaisement qu'il trouvait toujours au contact des animaux. Il remarqua une ombre qui suivait la sienne. Nicolas de Lagne le rejoignit et demanda s'il pouvait l'aider en quoi que ce soit.
– Je vous remercie, je n'ai besoin de rien, juste de reprendre mes esprits.
– Je sais les heures sombres que vous avez traversées à cause de ce scélérat de Condé. Je déteste cet énergumène, sachez-le ; c'est pourquoi vous pouvez compter sur moi et sur mes hommes si jamais l'envie de l'affronter vous prenait.
Les deux aristocrates entamèrent une longue discussion avant de rejoindre les autres convives. Gabriela les époustoufla d'un concert de clavecin accompagnée par Ninon au luth, puis les membres de la bonne société prirent congé, rejoignant leurs voitures respectives. Le trajet pour regagner l'hôtel Bessières fut pénible, Arnaud et Louise essayant en vain d'entretenir un ton badin contrastant avec la mine morose de Nolwenn et le silence de François. Gervais à leur arrivée se dépêcha de les accueillir puis tous allèrent se coucher. François ne fut pas surpris que Nolwenn veuille dormir seule, ce qu'elle faisait de plus en plus souvent, arguant de la fragilité de son sommeil de femme enceinte. Il accepta de bon gré, résolu à avoir une véritable conversation avec elle, après une bonne nuit de repos, pour la convaincre de la nécessité de sauver leur couple et de l'amour qu'il lui portait.
Le lendemain matin, il attendit une heure décente pour frapper à sa porte mais personne ne répondit. Il se décida à entrer dans leur chambre et constata qu'elle était inoccupée. Mu par une impulsion subite, il ouvrit les armoires et penderies : vides. Il appela Louise. Sa sœur apparut aussitôt se tordant les mains avec Arnaud en renfort.
– Je suis désolée, François, tellement désolée…
Le jeune homme, désemparé, la fixait sans comprendre.
– Nolwenn est apparemment partie cette nuit peu après notre retour, intervint son époux. Le portier l'a vue monter dans une voiture inconnue. Je ne sais que te dire, mon garçon…
François eut la sensation que la terre s'ouvrait sous ses pieds. L'angoisse qui s'abattit sur luimenaçait de le briser, aussi son esprit pour sa propre sauvegarde la transforma en colère. N'écoutant pas les paroles de réconfort de sa sœur et d'Arnaud qui tentaient de le retenir, il fila aux écuries seller son cheval, déterminé à régler ses comptes. Sa souffrance devait trouver un exutoire s'il ne voulait pas devenir fou. Condé devait payer pour tout le mal qu'il avait fait et peu lui importaient les consignes royales.
1 Voir L'héritier des pagans .
15
5 juillet 1651
Entre le numéro 9 et le numéro 15 de la rue Condé se trouvait l'entrée principale de l'hôtel particulier éponyme du premier prince de sang et de son clan, vastes bâtiments formant un triangle centrés autour d'un magnifique jardin à la française s'étendant de Vaugirard jusque devant le palais du Luxembourg. Les caprices du destin avaient voulu qu'il eût appartenu à Gondi père qui, ruiné, fut contraint par décret royal de s'en séparer, après en avoir fait une somptueuse résidence, au profit du père du vainqueur de Rocroi : Henri de Bourbon, qui sut admirablement poursuivre son embellissement. La demeure n'était que richesse déployée à volonté, lieu des rendez-vous de la fine fleur de l'aristocratie, connaissant une effervescence perpétuelle mêlant fêtes, joutes oratoires, récitals, pièces de théâtre, bals… menée par l'une des femmes la plus extraordinaire de son époque : Anne Geneviève de Bourbon-Condé, duchesse de Longueville, dont le chevalier servant attitré était son propre frère : Louis II de Bourbon-Condé.
Ce jour-là pourtant nul mot d'esprit, éclats de rires ou propos de comploteurs ne résonnaient dansce quartier général de la Fronde. Tout était d'un calme inaccoutumé en ces murs, et les valets en livrée s'étonnaient que leur maître vive ainsi reclus. C'est que Louis affichait depuis quelque temps une morosité voire une mélancolie durable inhabituelle chez cet homme en proie constante aux sautes d'humeur et aux besoins de jouir des plaisirs de la vie avec voracité.
Réfugié dans l'une des plus belles bibliothèques de l'hôtel, il avait demandé à ce que l'on ne le dérange pas, s'étant juste assuré que sa garde personnelle constituée de nombreux
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