Le jeu de dupes
n'entendait ni ne voyait plus rien, uniquement concentrée sur l'effort qu'il fallait fournir alors qu'elle était exténuée, presque incapable de pousser.
Après une courte accalmie, les cris reprirent de plus belle, bientôt suivis de vagissements vigoureux produisant une cacophonie joyeuse qui fit se lever Molière pour serrer la main de François. Il ne comprit que c'était réellement fini qu'avec l'apparition de Madame Pintard dans l'embrasure de la porte.
– Venez, vous pouvez monter. Elle conduisit le père vers la chambre de l'accouchée en chuchotant :
– Surtout ne la réveillez pas, la pauvrette est épuisée. Ne vous inquiétez pas, ça a été dur mais elle s'en remettra. Je reviendrai plus tard changer ses compresses et vérifier que ça va.
François pénétra dans la pièce comme dans une église. Nolwenn, très pâle, dormait d'un sommeil profond, paisible, sa longue chevelure noire étalée sur l'oreiller. Jamais il ne l'avait trouvée aussi bellequ'en cet instant. Au pied du lit, dans un berceau, couchés tête-bêche, deux bébés faisaient de même en émettant de drôles de petits bruits.
– Ah ça, pour sûr, des jumeaux pour une première fois, c'est pas rien… Vous pouvez être content : un gars et une fillette d'un seul coup, elle a bien travaillé, votre Dame.
Complètement sens dessus dessous, François ne parvenait pas à détacher son regard des nouveau-nés avec l'incrédulité de ceux qui assistent à un miracle.
– Vous en faites pas, elle a pu les nourrir donc on est tranquille pour pas mal de temps… Va tout de même falloir trouver une nourrice costaude pour ces deux-là. Je vous le dis parce qu'ils payent pas de mine pourtant ce sont des gloutons ! chuchota la brave accoucheuse toujours émerveillée malgré ses quinze ans de pratique.
François essuya les larmes qui lui montaient aux yeux et alla déposer un léger baiser sur le front de sa femme avant de s'asseoir près du berceau pour admirer, bouleversé, les deux petits êtres sous le regard attendri des domestiques et de Molière qui en profita pour s'éclipser discrètement laissant le couple à son intimité, heureux de les savoir réconciliés.
17
Fin septembre 1651
Ninon de Lenclos, invitée pour le déjeuner à l'hôtel Bessières, n'en finissait pas d'admirer les nouveau-nés qu'on venait de lui présenter une fois le dessert terminé, tous deux adorables avec leur ravissant bonnet de dentelle. Le premier, un garçon prénommé Philippe, semblait déjà doté d'un caractère affirmé et passait difficilement inaperçu avec sa chevelure noire, inattendue chez un bébé aussi jeune. La seconde, Charlotte, plus discrète au premier abord, exquise poupée potelée aux joues roses et au duvet doré savait vous ravir par sa réactivité lorsqu'on la berçait entre deux tétées et les efforts titanesques qu'elle menait pour soulever sa minuscule tête vers vous. Les jumeaux étaient magnifiques, en bonne santé : un vrai don du ciel et il suffisait d'observer leurs parents pour contempler l'image même de la félicité conjugale. Nolwenn et François s'étaient retrouvés et le bonheur d'avoir une descendance aussi pétulante symbolisant la force de leur amour et de leur engagement mutuel représentaient pour eux le signe de l'approbation divine, le ciment du renouveau de leur couple. Philippe, lové dans les bras maternels, se mitsubitement à pousser des vagissements vigoureux bientôt accompagné par sa sœur sous l'œil ravi de leur mère qui s'empressa d'appeler leur nourrice, une solide Normande à la poitrine généreuse propre à satisfaire l'appétit des petits gloutons. Elle prit les deux bambins avec douceur, alla s'asseoir au fond du grand salon, à l'écart, et l'on n'entendit bientôt plus que les soupirs de satisfaction des deux affamés.
– Quelle vitalité ! dit Ninon émerveillée.
– Ils sont insatiables, s'esclaffa Nolwenn. Heureusement que nous avons trouvé Jeanne car je suis incapable de les rassasier à moi seule.
– Vous auriez souhaité les allaiter ? demanda la courtisane, surprise.
– Je conserve la tétée du soir, avoua la jeune mère timidement. Cela vous étonnera peut-être, pourtant je n'échangerai ce moment pour rien au monde.
Ninon se contenta de hocher la tête pensant intérieurement qu'on voyait rarement une telle lubie chez les dames bien nées.
– Comme je te comprends, intervint Louise avec chaleur, ils sont si beaux, on a envie de tout leur
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