Le jour des barbares
terrorisés par l’apparition des
Huns dans leurs terres lointaines et avaient été incapables de leur résister :
les Huns avaient franchi un fleuve après l’autre, le Don, le Dniepr, le Dniestr,
et partout où ils arrivaient ils massacraient tout le monde, hommes, femmes et
enfants, si férocement et systématiquement qu’un auteur ancien décrit presque
la situation en termes de génocide.
Quant à la provenance et à la nature des Huns, les Goths n’en
savaient pas davantage que les Romains. Mais dans leurs veillées nocturnes on
commença bientôt à raconter une légende, qui en dit long sur la terreur que les
nomades avaient suscitée parmi eux, et qui circulait encore deux siècles plus
tard. Selon cette légende, dans un lointain passé un chef goth, Filimer, avait
découvert au milieu de son peuple des sorcières appelées en langue gothique Haliurunnæ. Chassées de la tribu et contraintes d’errer dans les steppes, les sorcières
s’étaient unies à des esprits maléfiques qui habitaient ces lieux déserts ;
et de cet accouplement monstrueux était née une race non moins monstrueuse, qui
n’était qu’à demi humaine : les Huns.
Face à l’arrivée de cet épouvantable ennemi, à ces escouades
volantes de pillards qui se déplaçaient à cheval, attaquaient les villages à l’aube
et ne faisaient pas de prisonniers, sauf peut-être les jeunes femmes pour les
réduire en esclavage, les populations gothiques terrorisées s’étaient mises en
fuite. Elles avaient chargé leurs affaires sur leurs chariots, et ainsi, en
convoi, avec les femmes, les enfants et ce qu’il leur restait de bétail, elles
s’étaient mises en marche vers le sud. Bien sûr, les Goths étaient eux aussi un
peuple belliqueux, et il y avait eu plus d’une tentative de résistance, plus d’une
bataille livrée contre les Huns, mais à chaque fois l’issue avait été
désastreuse : l’un après l’autre, les princes goths avaient été vaincus, et
leur peuple s’était ajouté à la foule des fuyards. Enfin, tous ces gens en
détresse, après avoir erré pendant des mois, affamés et exténués, étaient venus
camper sur la rive du Danube, au pied des avant-postes romains.
Heureusement, les Huns se trouvaient encore très loin, alourdis
par un immense butin, et on pouvait penser qu’ils n’iraient pas jusqu’au Danube ;
mais tout le pays des Goths était dévasté et redevenu sauvage, les champs n’avaient
pas été ensemencés, les maisons avaient été abandonnées ou brûlées. Les fuyards
n’avaient ni la possibilité ni l’envie de revenir en arrière pour mourir de
faim sur une terre maudite. De l’autre côté du Danube, ils savaient qu’il y
avait un immense empire, riche et civilisé, où il était facile de trouver du
travail – et ils demandaient qu’on les laisse entrer. Voilà ce qu’expliquèrent
leurs chefs aux officiers romains venus s’informer sur leurs intentions, dans
les campements de fortune où s’entassaient des milliers de réfugiés ; et
voilà ce que contenait le rapport qui parvint, quelques semaines plus tard, au
palais de Valens, dans la lointaine Antioche. Les officiers qui commandaient
les avant-postes l’avaient transmis aux gouverneurs militaires des provinces
frontalières, et ceux-ci, à leur tour, l’avaient expédié à l’empereur, en demandant
des instructions urgentes : que fallait-il faire de tous ces gens ?
4.
Nous ne connaissons pas le détail des discussions qui eurent
lieu entre les conseillers de Valens, lorsqu’il fallut décider quelle réponse
apporter à la demande d’accueil présentée par les réfugiés goths. Nous
possédons seulement la reconstitution qu’en a donné Ammien Marcellin, et
naturellement nous ne devons pas trop nous y fier : Ammien n’était pas là,
dans le consistoire, et surtout il a écrit quelques années plus tard, quand
tout s’était déjà très mal terminé. Ce n’est donc sûrement pas un témoin objectif.
Mais les arguments qui, à l’en croire, furent avancés durant ces discussions, et
qui finirent par persuader l’empereur de prendre une décision, nous paraissent
crédibles car ils correspondent parfaitement à ce qui était désormais une
pratique politique bien établie. L’empire avait besoin de main-d’œuvre, tout le
monde le savait. Il était prospère, mais sa population était insuffisante par
rapport à son immense étendue. Il y avait partout des provinces
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