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Le jour des barbares

Le jour des barbares

Titel: Le jour des barbares Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alessandro Barbero
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entièrement
dépeuplées, voire désertifiées, surtout là où la terre n’était pas assez bonne
pour que son exploitation soit rentable, étant donné le poids écrasant des
impôts. Le domaine impérial, c’est-à-dire l’État, possédait d’énormes
exploitations agricoles mais ne disposait pas d’assez de personnel pour les
cultiver, et il était obligé de les louer à des hommes d’affaires qui en
retiraient une forte plus-value.
    Les gens capables de travailler dur en se contentant de peu
étaient les bienvenus ; or les Goths, quoique barbares, étaient des
paysans, habitués aux travaux des champs. Leurs chefs ne demandaient rien d’autre
que des terres en Thrace pour y installer leurs hommes et y vivre en paix, et
il y avait plus d’une façon de leur donner satisfaction. On pouvait attribuer
directement aux chefs goths des terrains appartenant au domaine impérial, ou
qui avaient été abandonnés et confisqués ; on pouvait leur en donner la
propriété ou les leur concéder en location perpétuelle, à des conditions en
tout cas très favorables – à charge pour eux de les répartir entre leurs hommes.
Mais on pouvait aussi installer directement les familles dans les grandes propriétés,
en qualité de colons. Le droit romain avait lentement élaboré le statut du
colon, qui n’est pas un esclave mais un homme libre, tout en ayant l’obligation
légale de rester sur sa terre pour la cultiver. Ce que l’on appellera plus tard
le « serf de la glèbe » et que l’on associe, à tort, au Moyen Âge, est
en réalité une figure juridique typique de l’Empire romain tardif. Pour les
réfugiés goths, ce n’était pas une solution aussi avantageuse que l’autre, mais
quand on meurt de faim on n’est pas en mesure de dicter ses conditions.
    Et puis, naturellement, l’empereur devait prendre en compte
aussi la nécessité, encore plus urgente, de recruter des conscrits pour l’armée.
Accueillir les Goths dans l’empire signifiait élargir le bassin de recrutement,
avoir à sa disposition un vivier d’hommes jeunes, dans la force de l’âge, sachant
combattre ; et pour chaque Goth enrôlé dans un régiment impérial on
pouvait exonérer, moyennant le paiement d’une certaine somme d’argent, un
conscrit national. Tout le monde avait à y gagner : l’armée, les finances
de l’empire, mais aussi l’opinion publique des provinces, qui supportait mal le
poids de la conscription et n’aimait guère que ses colons soient arrachés aux
champs pour s’en aller servir l’empereur. Les conseillers de Valens se
frottaient les mains : cette foule de barbares amassés aux frontières n’était
pas un danger ; au contraire, c’était la bonne étoile de l’empereur qui
les envoyait.

5.
    Les Goths campaient déjà depuis des semaines sur la rive du
Danube, sous une pluie incessante qui faisait gonfler les eaux du fleuve, quand
les instructions de l’empereur arrivèrent enfin d’Antioche. La réponse de
Valens était celle que les chefs avaient espérée : les réfugiés allaient
être pacifiquement accueillis. De l’autre côté du fleuve, des secours
humanitaires les attendaient, et plus tard on leur donnerait un logement et du
travail. Les envoyés de l’empereur avaient des consignes précises en vue d’organiser,
en premier lieu, le transfert de toute cette multitude sur la rive romaine. Car,
naturellement, il n’y avait pas de ponts sur le Danube. Sur tout le cours de
cet immense fleuve il n’avait existé qu’un seul pont de pierre, édifié par
Constantin cinquante ans plus tôt afin que les Goths se rappellent qu’il avait
le bras long et que, s’ils ne se comportaient pas bien, les légions pouvaient
facilement entrer dans leur pays. Mais à l’époque dont nous parlons ce pont
était déjà tombé en ruine ; il fallait donc organiser le transport sur l’eau.
C’était une des choses que l’administration romaine savait bien faire, en
mettant à profit les compétences de l’armée : les barques des pêcheurs de
toute la zone furent réquisitionnées, on construisit des radeaux et des pontons
de fortune, et les opérations de transfert commencèrent.
    La traversée du fleuve prit plusieurs jours, si ce n’est
plusieurs semaines, tant il y avait de gens à transporter. Ammien Marcellin, quand
il y repense, s’étouffe de rage à l’idée de toute cette énergie déployée pour
faire entrer dans l’empire ceux qui devaient finir par se révéler ses

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