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Le jour des barbares

Le jour des barbares

Titel: Le jour des barbares Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alessandro Barbero
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peine suffisantes pour ne pas mourir de
faim. La seule chose à faire aurait été de commencer à les convoyer vers l’intérieur
des terres, comme le prévoyaient les instructions de l’empereur ; mais les
généraux romains qui supervisaient les opérations, le duc Maximus, commandant
des troupes de la frontière, et le comte Lupicinus, gouverneur militaire de
Thrace, n’étaient pas pressés. Ils n’avaient pas tardé à s’apercevoir qu’ils
pouvaient faire de gros bénéfices avec les vivres destinés aux réfugiés ; et
cela n’a rien d’étonnant, car la corruption était endémique dans l’Empire
romain. Sans pots-de-vin, rien ne se faisait, et tout le système des appels d’offres
et des fournitures pour l’armée offrait depuis toujours des possibilités
illimitées de profits souterrains. Le ravitaillement des réfugiés était une
affaire trop colossale pour qu’on ne la fasse pas durer le plus longtemps
possible. Peu importait si, à force de pots-de-vin, le peu qui parvenait
réellement dans les camps se révélait insuffisant pour nourrir tous ces gens – et
c’était même tant mieux, car on pouvait toujours revendre à ces désespérés, au
marché noir, les vivres qu’ils auraient dû recevoir gratuitement. Les
conditions de vie dans les camps devenaient si dramatiques que les Goths
étaient prêts à céder leurs enfants comme esclaves en échange de nourriture, celle-ci
se réduisant à un peu de vin infect et de pain immangeable. Les Romains leur
vendirent même des chiens, et les Goths acceptaient de les acheter pour les
manger.
    La situation était totalement ingérable. Maximus et
Lupicinus commencèrent à craindre d’être dénoncés ; les chefs goths
protestaient avec véhémence parce que les subsides promis n’arrivaient pas, et
l’affaire devenait de jour en jour plus périlleuse. Alors Lupicinus se décida
enfin à exécuter les consignes de l’empereur et à transférer les réfugiés vers
l’intérieur des terres, où l’administration préparait en toute hâte les zones d’installation.
Les chefs goths – qui, malgré la tournure prise par les événements, se fiaient
encore aux promesses reçues – donnèrent l’ordre à leurs gens de charger les
chariots, et le convoi se mit finalement en route. Toutes les unités militaires
disponibles avaient été envoyées sur place pour les escorter le long du chemin,
car l’état d’esprit des Goths était tel que l’on craignait des incidents ;
la population civile, pour sa part, ne trouvait pas du tout rassurante cette
troupe de barbares qui traversait le pays. Mais en réalité la situation
échappait déjà à tout contrôle, même si Valens, à Antioche, n’en avait pas la
moindre idée, et probablement Lupicinus et Maximus ne s’en rendaient pas compte
non plus. Pour escorter le convoi au cours de ce voyage, qui demandait
plusieurs semaines de marche, on avait dû dégarnir les postes de garde le long
du fleuve, et les embarcations militaires avaient suspendu leurs patrouilles. Mais
sur l’autre rive du Danube il y avait encore une énorme foule de réfugiés qui, arrivés
trop tard, s’étaient vu refuser l’accès et étaient restés massés là, pleins de
ressentiment. Dès que les soldats eurent disparu, toute cette multitude de
Goths se mit à traverser illégalement le fleuve sur des radeaux de fortune, et
campa en territoire romain sans avoir demandé l’autorisation à personne.

9.
    Le transfert des Goths à travers la Thrace commença dans un
climat délétère. Les barbares étaient des dizaines de milliers, une foule
immense de réfugiés composée non seulement de civils, mais aussi de guerriers
en armes ; impatients de voir se concrétiser les promesses reçues, ils
étaient exaspérés par le traitement qu’on leur avait fait subir, et les mesures
de sécurité exceptionnelles prises par les autorités romaines les rendaient
soupçonneux. Les soldats les escortaient sans les perdre de vue, également
nerveux et méfiants, parce qu’ils n’étaient pas assez nombreux pour résister si
jamais les barbares décidaient de se révolter en masse. Parmi les chefs de
tribu, il y en avait un, Fritigern, qui était reconnu par la multitude des
réfugiés comme une sorte de leader. Selon Ammien Marcellin, Fritigern se
rendait très bien compte que la tension était à son comble, savait déjà que d’autres
chefs avaient franchi le fleuve illégalement, et fit en sorte de ralentir le
plus

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