Le jour des barbares
familles et leurs troupeaux, chargeant leurs
mobilier sur des convois de chariots, en quête de territoires plus fertiles ou
plus sûrs. En comparaison, les Germains du Rhin étaient moins préoccupants :
c’étaient des paysans depuis toujours, ils vivaient sur des territoires stables,
chaque tribu dans son canton, ils cultivaient la terre, leurs chefs avaient
déjà appris à se construire des résidences fortifiées dans le style des grandes
villas de campagne romaines. On savait comment gérer les relations avec eux. Les
populations des steppes danubiennes, en revanche, faisaient peur, car derrière
elles on ne savait pas ce qu’il y avait.
3.
La peur est certainement une des clés de l’attitude romaine
à l’égard des barbares. Cette peur ancestrale est au cœur des épisodes les plus
dramatiques de l’histoire de la Rome archaïque et républicaine : les
Gaulois de Brennus qui arrivent jusqu’à Rome, les Cimbres et les Teutons
arrêtés par Marius aux portes de l’Italie. Les écrivains romains reviennent
continuellement sur cette obsession : les barbares sont nombreux, trop
nombreux, la Germanie les déverse par vagues successives, comme l’océan, les
steppes vomissent des races toujours nouvelles. Mais cette rhétorique, au IV e siècle,
a vieilli. Certes, elle est maintenue vivante par les orateurs qui viennent
adresser leurs suppliques à l’empereur, mandatés par les provinces frontalières,
par les riches cités de la Gaule, où les menées des Francs et des Alamans
représentent une authentique menace ; elle est alimentée par les nouvelles
qui arrivent des plaines danubiennes, où plus d’une fois le gouvernement a dû
évacuer la population des zones les plus exposées, retirer les garnisons, réinstaller
les réfugiés à l’intérieur des terres, pour les mettre à l’abri des incursions
des nomades ; elle est renouvelée par les plaintes en provenance des
frontières africaines, où les propriétaires fonciers déplorent l’inefficience
de l’armée qui ne les protège pas suffisamment des razzias, menaçant d’armer
leurs paysans et de se défendre eux-mêmes. Mais, au palais impérial, on
raisonne autrement. Les ministres savent que l’empire est capable de mater les
barbares chaque fois qu’ils relèvent trop la tête, et c’est seulement pour des
questions de ressources, d’argent qui manque et de régiments en sous-effectif, qu’il
faut se contenter de mesures toujours partielles et provisoires ; mais il
n’y a pas de quoi avoir peur.
Bien sûr, les barbares sont des gens belliqueux, et il faut
les châtier souvent, car ils ne retiennent jamais la leçon ; ce n’est pas
pour rien que ce sont des barbares. Après chacune de leurs défaites, quelques
années passent, et les voilà qui reprennent courage, entrent en territoire
romain, prennent d’assaut les fermes, emportent esclaves et butin ; les
empereurs doivent intervenir, organiser des expéditions punitives, et ce sont
les Romains qui, à leur tour, pénètrent dans le pays ennemi, brûlent les
villages, massacrent femmes et enfants, emportent les troupeaux, détruisent les
récoltes, jusqu’à ce que les chefs de tribu viennent à genoux demander pitié. Les
mêmes propriétaires fonciers et les mêmes marchands qui se plaignaient de l’insécurité
tirent alors de grands profits des esclaves capturés, des contributions
imposées aux tribus, du bétail que l’armée ramène chez eux et distribue. Ceux
qui ont vu leurs récoltes ravagées et leurs esclaves dispersés peuvent demander
que l’armée leur assigne une escouade de prisonniers pour les faire travailler
gratuitement sur leurs terres. Pendant ce temps, les officiers recruteurs
parcourent les campements des barbares vaincus et humiliés, sélectionnent les
jeunes hommes les plus robustes, les emmènent avec eux ; ils seront
marqués et rééduqués, apprendront la discipline et deviendront des soldats
romains. Et les propriétaires de grandes exploitations agricoles, qui ont l’obligation
de fournir des recrues pour l’armée choisies au sein de leur personnel, seront
bien aises de pouvoir payer à la place un impôt, étant donné que les hommes, désormais,
sont recrutés de l’autre côté de la frontière. La guerre contre les barbares
est aussi une affaire, qu’il suffit de savoir bien gérer.
4.
À l’égard des barbares, en somme, l’attitude des Romains du IV e siècle
est ambivalente. Tout ce qu’ils ont appris de
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