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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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touchant à l’embrasure de la fenêtre, Ogier affectait de dédaigner ce qui l’entourait, particulièrement ce clerc aux allures d’inquisiteur, pour ne voir que son adversaire : le roi. Son sang glacé par la dernière épreuve se réchauffait ; son cœur battait plus librement ; ses vêtements piteux adhéraient à ses chairs, et d’eux et de celles-ci, il n’eût su dire lesquels étaient les plus humides. Il se sentait aussi las et oppressé que s’il venait de courir dix lieues. Pourtant, sa comparution, leur comparution ne faisait que commencer. Qu’allait-il advenir de ses compères et de lui-même ?
    — Vous me semblez toujours entalenté pour disputer, messire Argouges. Quand nous nous sommes vus, les deux premières fois, nous étions égaux : vous étiez le truchement de mon cousin Philippe, qui se prétend roi de France. La troisième fois, à Calais, vous gisiez quasiment mort sur une civière, et l’on vous emmenait sur ma nef préférée : L’Édouarde. Votre hautaineté s’en était allée avec votre sang… Cette nuit, je vous ai enfin à ma merci !
    Le faîte de la haine était atteint ; restait la consécration du triomphe. Ogier vit Jean d’Offord murmurer soit un conseil, soit une recommandation à l’oreille du monarque. De lui-même, il avança vers les deux hommes et, comme Guillaume et Barbeyrac, croisa les bras dans l’attente d’une sentence.
    — Vous m’avez, messires, tué trois soudoyers et navré quantité d’autres. Il m’incombe de venger mes sujets… Vous n’y allez pas de main morte !
    — Sire, en disant cela, fit Guillaume impassible, vous nous honorez grandement !
    La suffisance, l’ostentation d’Édouard IIIn’avaient aucun ascendant sur lui. Sans doute estimait-il qu’il jouait, entre ces murs lumineux à l’excès et sur cet échiquier à sa mesure, une dernière partie dont il connaissait l’issue. Mieux valait qu’il profitât d’un petit avantage verbal avant une défaite inéluctable.
    Le roi croisa les bras, lui aussi. Lui aussi se cuirassait d’attitudes hautaines, au risque, dans ses ajustements de nuit, de passer pour un quelconque bourgeois. Mais ses humeurs étaient volontiers réversibles : il rit. C’était mince déconvenue, pour le vainqueur de Crécy, d’avoir perdu trois soudoyers au combat, les autres étant, une fois guéris de leurs plaies, destinés à y revenir. Il rêvait de conquérir la France et la violentait durement. Il avait assez de bon sens pour mesurer, face à ces trois hommes qui se récalcitraient contre la servitude, tout ce qui l’empêchait présentement d’y parvenir et tout ce qui contrarierait ses visées si Philippe avait pour successeur un homme habile, courageux, circonspect. Ogier l’eût pu dissuader de s’inquiéter : il semblait, d’après ce qu’il avait vu et appris du duc de Normandie, qu’il serait plus misérable suzerain et plus funeste guerrier que son père.
    — Vous êtes présomptueux, messires, dit tout à coup le chancelier, entre deux toussotements qui semblaient accuser la gravité de sa constatation.
    — Monseigneur, dit Barbeyrac en élevant considérablement la voix à mesure qu’il s’exprimait, notre fierté, ne vous déplaise, est notre seule et dernière arme. N’ayez crainte : elle ne tue pas.
    Une soudaine et dommageable cillose transforma le visage émacié de Jean d’Offord : ses cils n’en finissaient plus de cligner comme si ce Franklin venait de lui jeter du poivre dans les yeux. Il parut perdre son souffle et renonça, malade de honte, à proférer un mot de crainte de l’écorcher.
    Édouard III poussa son conseiller du coude :
    — C’est bien… C’est bien…
    Puis, avec une courtoisie persifleuse :
    — Messires, j’en conviens, vous êtes des prud’hommes : vaillants, obstinés, insolents au besoin. Ces qualités, j’aimerais les faire miennes… Non, non, ne souriez pas, messire Argouges ! Je veux dire que ces vertus, j’aimerais les compter à mon service… C’est évidemment impossible compte tenu, justement, de votre nature. Alliés, non… Alors, ennemis fatals… Que vous m’ayez meurtri des hommes à la guerre, c’était votre devoir ; je n’en veux rien savoir. Mais que vous m’en ayez meshaigné dans la paix constitue un forfait condamnable.
    L’espace d’un souffle, Ogier éprouva une telle angoisse qu’il dut s’appuyer au mur et que ses idées se confondirent. Pourtant, en écoutant le roi,

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