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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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il avait pensé à quelque chose de précis. Un argument, une réplique irrécusable. Il fallait absolument qu’il trouvât cette réponse. Dans ce terrible déchirement de ses facultés, son sentiment de fatigue s’accentua au point que pour y mettre un terme, il eut envie de crier : « Finissez-en ! Finissez-en ! » Mais Guillaume avait senti sa défaillance. Un regard de reproche, un toucher de son coude, suffirent à le réconforter.
    — Sire Édouard, dit-il en refusant de se résigner, je vous ai rejoint deux fois pour satisfaire à la demande du roi Philippe. Deux fois, j’ai eu confiance en vous et par la mordieu, si nous étions ennemis, sommes-nous demeurés courtois et de franc-parler l’un envers l’autre…
    « Cette idée », se dit-il, « où est-elle ? L’ai-je donc perdue à jamais ? Il me la faut… J’en ai besoin pour nous sauver ! »
    L’attention glaciale et mortelle du roi, son visage levé, figé, aux gros sourcils froncés, et celui du chancelier – béat, livide, immobile – confirmaient une aversion contre laquelle le plus véhément plaidoyer serait vain. Pourtant, il fallait lutter avec ces armes dérisoires : les mots.
    — Sire, si vous étiez à notre place – et par respect pour vous, je ne vous y vois pas –, eh bien, vous eussiez fait ce dont vous nous accusez… Nous sommes pauvres, tous, et chargés de famille. Nos femmes et nos enfants nous manquent… Tous nos agissements sont en conformité avec les règles de la Chevalerie car aucun de nous n’a fait serment de subir la volonté de son vainqueur. Je ne saurais oublier que mon cas est particulier. J’ai grand merveillement et gratitude immense pour messire Gauthier de Masny, qui m’a rendu à la vie. J’ai de la reconnaissance envers damoiselle Odile de Winslow dont les soins hâtèrent ma guérison… Mais je suis un guerrier, je combats l’Angleterre sans m’interroger sur votre bon droit ou la légitimité du roi de France qui me fit son champion contre votre homme lige : Richard de Blainville… que j’eus le plaisir d’occire.
    Il souriait sachant qu’Édouard IIIprisait particulièrement la sincérité, bien qu’il comptât sur la duplicité d’aucuns pour aplanir les difficultés qui se dressaient sur le chemin de Londres à Paris.
    — Vous me voyez donc prêt, sire, à subir un châtiment que je suis de taille à supporter. Toutefois dans l’état d’infériorité qui est mien…
    Il considérait les deux visages immobiles devant lui en se disant qu’il ne convaincrait point ces gens de son bon droit. Pas un seul argument ne pouvait atteindre la raison et le cœur de ces hommes d’autant plus hautains et inexorables qu’ils accumulaient les victoires. Il se sentit fourvoyé, condamné. Ce fut alors que l’idée lui revint à l’esprit :
    — Sire, avez-vous bonne mémoire ?
    — Je n’oublie rien, surtout pas les affronts !
    Le dégoût semblait être monté des entrailles à la bouche du roi. Il saisit son aiguière, appuya sur le fruitelet [230] pour en ouvrir le couvercle et se verser à boire, mais renonça devant des hommes las et sans doute assoiffés.
    — Sire, vous souvenez-vous de notre rencontre première, dans les terres près de Rouen ?
    — Fort bien.
    — Et de votre proposition ?
    Le roi sourcilla sans se départir de son air revêche.
    — Non… Qu’ai-je fait ? Qu’ai-je dit qui vous soit salutaire ?
    Ogier sentit l’attention de son oncle et de Barbeyrac s’aiguiser si fortement qu’il s’en trouva comme transpercé.
    — Vous m’avez dit, sire, en substance : « Aux Pâques de l’an prochain, soyez à Westminster. Nul besoin de sauf-conduit pour participer aux joutes. » La sainte fête est passée, je suis en Angleterre… et des joutes, demain, réuniront la Fleur de votre Chevalerie…
    — Quelle occasion pour vous, Argouges, de vous réhabiliter… De vous targer de moi [231] si je crois vous comprendre ? On sursoit à la mort des champions du champ clos…
    Pourquoi l’eût-il nié ? Ogier hocha la tête. Le chancelier du roi prit un air emprunté : il voyait son souverain coincé entre deux décisions contraires. Guillaume se mordait les lèvres, trouvant la hardiesse de son neveu un peu trop aventurée. Barbeyrac souriait comme si tout ce qui se disait présentement ne concernait ni sa personne ni son avenir.
    Le roi se mit à marcher, choisissant toujours un carreau noir pour y poser sa semelle. Soudain,

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