Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
terre ennemie, mais lors d’une de ces fêtes d’armes où il avait tant accompli de prouesses. L’effet croissant de la paralysie qui se répandait dans ses membres et qu’il s’efforçait en vain de réprimer, lui tira un râle tandis que seul, cette fois, Offrey retraversait la lice :
    — Dames, pardonnez-moi !… Notre sire vous réclame. Est-il mort ?
    Puis, s’apercevant de sa bévue :
    —  Sorry !
    Il s’en alla, croisant un évêque frileusement serré entre deux clercs aux mines acariâtres dont l’un serrait un saint livre sous son aisselle. Bien qu’il s’aidât de sa crosse, le prélat n’eût pas piété plus mal sur un chemin glacé. Pour complaire au roi et satisfaire les chevaliers et la foule, il venait s’assurer du trépas du Franklin. Il déchanta de voir un vieillard, assisté du respect de trois grâces, essayer de se composer une belle mort.
    — Messire, vous avez coutume de ces liesses : veuillez, je vous prie, lâcher ces mains…
    Il regardait l’agonisant droit dans les yeux ; il vit, ensuite, le sang qui suintait des mailles ; un sang noir, désormais, mêlé à de puantes matières.
    — Mon fils, Dieu vous a vu… Par ma présence Il va vous tenir compagnie.
    Guillaume, d’un sourire, interrompit l’homme crossé, mitré, au visage suant d’une fureur indigne.
    — Dieu, dit-il faiblement, je le verrai bientôt… Ai-je, de votre part, quelque chose à Lui dire ?
    Il y eut sur les traits gras et lourds du prélat un tel air de tristesse et de résignation que l’un de ses servants, le plus sinistre, enjoignit aux jeunes femmes de guerpir sans plus tarder. Disant cela, il regardait réprobativement les genoux de Jeanne de Kent et de Tancrède.
    — Allons, allons, dames : obéissez !… Les colères de notre sire Édouard sont rares mais terribles… Gardez-vous d’enfreindre ainsi les convenances !
    Tourné vers les tribunes, il fit un geste d’impuissance, tandis que son compère en soulevant sa bure avec des façons de femme effarouchée, déposait son gros livre auprès de Guillaume.
    Tancrède ne disait mot. Elle était pâle. Avec un mépris qui dévoilait, au lieu des vertus apostoliques, un caractère sans pitié ni miséricorde, l’évêque saisit la jeune femme à l’épaule. Ogier vit son gant violet, orné d’une bague aussi grosse qu’un œuf de loriot, se crisper sur la chair avec l’évidente volonté de faire mal.
    — Lâchez-moi, intima Tancrède.
    La main se rétracta, mais l’évêque insista :
    — Ma fille !… Il n’existe aucune panchreste pour cela, ou, si vous préférez, aucune panacée…
    Ogier vit brusquement se lever sa cousine. Elle désarma l’évêque et, posant le fer de son bâton pastoral sur le cœur de Guillaume :
    — Faut-il que je l’achève avec cet arestuel [326]  ? Voulez-vous le faire à ma place ?
    Dans le silence qui suivit cette algarade, Ogier entendit la litanie de Russell Chalk :
    —  Celui qui rompra le plus de lances selon les règles remportera le prix… Celui qui touchera trois fois le carnet [327] du heaume aura le prix… Celui qui rencontrera deux fois cournall to cournall [328] aura le prix… Celui qui, d’un coup de lance, jettera un champion à terre aura le prix…
    —  Venez, dit l’évêque à ses coadjuteurs… Point de bénédiction ni d’oraison ad usum… Consummatum est [329] .
    —  Les infâmes ! dit Tancrède.
    — Les affreux ! grommela Ogier.
    Guillaume ouvrit la bouche ; une gorgée d’écume en sortit, qui englua sa barbe. Ses doigts serrèrent ces belles mains de femmes dont la possession précaire le plongeait certainement dans une ultime fureur.
    — Périr ainsi !
    — Eh oui, mon noble ami !… soupira Barbeyrac, incapable d’affermir sa voix. Mieux vaut périr ainsi qu’au tréfonds d’une geôle… Tu as fourni à un roi une leçon de courage…
    Un vertige troubla la pensée de Guillaume. Il secoua la tête et ne répondit pas. Tancrède se pencha. Trop fière pour baiser ce front suant, elle y posa sa dextre et des sanglots la secouèrent tandis qu’elle regardait Odile et Jeanne de Kent avec une expression si terriblement singulière, composée de remords, d’amour et d’impuissance, qu’Ogier en fut apitoyé. Jamais il ne l’avait vue dans un tel état d’affliction, de faiblesse, de soumission aux décrets du destin. Elle avait tout commis, tout éprouvé, au rebours des autres gens. Dans la pire des épreuves, elle

Weitere Kostenlose Bücher