Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
Alors, précédant Thierry et deux ou trois hommes d’armes, il eût chevauché vers quelque lieu paisible où ils eussent planté l’humble tente dont ils avaient disposé à Chauvigny.
    — Dans mon pays, dit-il, je serais allé rôder autour de ces belles demeures afin de voir, outre leurs têtes, les targes et les écus de ces outrecuidants. J’en aurais provoqué sûrement quelques-uns, moins par présomption que par nécessité… Il est bon quelquefois, Griselda, de niveler les fortunes. Qu’y a-t-il de plus bas que l’herbe d’un champ clos ?
    Élisabeth fit entendre son rire un peu gloussant.
    — Hé ! Hé ! Franklin, dit-elle en se détournant à peine, mais en alentissant l’allure de son cheval, possèdes-tu dans ton pays un pavillon aussi haut et large que celui qui domine tous ces logis ?
    Elle désignait une pyramide dont un côté portait d’azur à trois fleurs de lis d’or et l’autre de gueules à trois léopards d’or mis l’un sur l’autre, armés et lampassés de même. Les deux triangles invisibles devaient répéter les mêmes armoiries.
    — Non… Je ne suis point roi, ni duc ni comte… La demeure de votre sire Édouard est à la mesure de sa hautaineté.
    — Il vient certainement d’arriver. Qu’en penses-tu, Ogier, toi qui le connais ?
    Griselda, évidemment, se faisait une joie de renchérir sur son aînée.
    Ogier, las de leurs escarmouches, remonta sur son épaule la bretelle de son carquois. Prompte, une petite main l’y aida. Pour plus de commodité, il avait lié son long bow le long du flanc droit de son cheval, ce qui l’obligeait à rétablir son équilibre en se penchant légèrement à gauche. Il commençait à souffrir d’un frayon [128] à l’intérieur du genou droit, là où sa chair frottait le fourreau de son arc.
    — Ce que je pense de ton roi ?… Qu’il est avide, maléficieux, sans magnanimité même envers les gens de Dieu, puisqu’il a embrasé leurs églises et leurs couvents chaque fois qu’il le pouvait, après avoir robé les trésors sacrés. Sa gloutonnerie de pouvoir s’assortit d’une hardiesse et d’une intelligence dont j’aimerais que mon roi Philippe fut pourvu… Quand mon sang bout, il m’advient de haïr vos barons, vos piétons et d’oublier que la plupart sont de ma race… Ils n’ont qu’un tort, à vrai dire : celui de ne pas être attachés, par serment, au même souverain que le mien. Alors je me repens. Ce n’est pas eux que je devrais détester, mais la guerre. Elle nous oppose et peu à peu nous extermine. Or, nous sommes pareils : nous devrions être frères d’armes plutôt que frères ennemis !
    Jusque-là, loin de la foule, ils avaient pu parler sans crainte, mais des cavaliers s’approchaient, vêtus en bourgeois.
    — C’est lui, dit Shirton. Décoiffons-nous sur son passage.
    — Je suis tête nue, dit Griselda. Je lui enverrai un baiser.
    Elle le fit d’un grand geste éloquent de sa main. Le roi s’arrêta aussitôt.
    — Les premières bonnes gens que je croise à Ashby sont d’une bienveillance qui me va droit au cœur, dit-il à l’intention de ses cinq compagnons tellement endimanchés qu’on eût pu penser qu’ils se rendaient à une audience papale. Dieu vous garde !
    Tandis qu’il s’inclinait sur l’encolure de son cheval, Ogier crut comprendre que depuis qu’il revendiquait le trône de son grand-père, Édouard III avait décidé de ne s’exprimer qu’en français. Il effleura d’un regard vif les pourpoints de soie colorée des cinq hommes, tous enjolivés d’ailes de houce [129] de soie et de velours ; les hauts-de-chausses où tintaient de petits grelots d’or et d’argent, les heuses aux longs ergots dorés. Le roi n’était vêtu que de brunette [130] , mais aucun de ceux qui ne l’avaient jamais vu n’eût pu se méprendre sur sa condition : un rubis scintillait au-dessus de son médius dextre ganté de chevreau noir, et son gambison plissé, bouffant à la taille, laissait passer les brillances d’une ceinture de cuir d’Allemagne garnie de fourrure noire à l’espagnole.
    — Toi, petite, qui m’as salué si courtoisement, est-ce ton père qui mène ce cheval ?… Son visage me rappelle quelqu’un…
    — Il est mon père… Mais je vous en préviens : n’espérez pas de lui une réponse : il est muet, Votre Majesté ; muet de naissance.
    Ogier s’interdisait d’abaisser son visage. Sous son chaperon noir à la crête

Weitere Kostenlose Bücher