Le kabbaliste de Prague
qu’un jour il jouerait un
rôle, à son corps défendant, dans la grandeur du MaHaRaL !
C’est ainsi, dans cette vie calme, savante et mesurée, que
grandirent les enfants d’Isaac et de Jacob.
Après trois ou quatre années, il fut acquis que l’un comme
l’autre étaient de constitution solide. Ni Vögele ni Rebecca ne craignaient
plus ces infections terribles qui emportaient tant d’enfants dans leurs toutes
jeunes années. Ceux-ci, outre une belle vigueur, montrèrent des prédispositions
dignes de leurs familles, dans l’intelligence autant que dans l’héritage des
caractères.
Dès sa cinquième ou sixième année, Isaïe étudia avec une
assiduité qui enflammait le cœur de Jacob. Il m’arrivait de les surprendre en
si sérieuse conversation que j’aurais pu douter de la jeunesse du fils si je ne
l’avais connue. En outre, Isaïe se révéla d’un caractère facile et soumis.
Jamais de ces colères ou de ces caprices qui sont l’ordinaire des jeunes
garçons. D’une grande douceur avec sa mère, il vénérait son père. À l’inverse,
pas plus qu’on n’entendait son rire dans la maison de Jacob, je ne me rappelle
l’avoir vu emporté par ces jeux qui savent depuis la nuit des temps enflammer
l’imagination des enfants.
Si Isaïe ne s’abandonnait pas aux fureurs de l’imagination,
Jacob le faisait pour lui. Ce fils prodigue en qualités comblait sa fierté de
père. Il ne mettait pas de borne à son destin. Et la sage perfection d’Isaïe
était si réelle qu’il n’y eut personne pour lui gâcher ce mouvement d’orgueil.
Dès ces années, la petite Éva s’avéra composée d’un tout
autre bois.
Isaac et Vögele ne furent pas longs à se rendre compte que
l’obéissance n’était pas sa première qualité. En vérité, leur fille paraissait
bien trop vive, trop pleine d’énergie pour que le moindre conseil de tempérance
puisse l’atteindre.
Puisque fille, la responsabilité de son éducation revenait
en très grande partie à Vögele. Nul ne pouvait accuser sa mère de mollesse. Il
n’empêche, Éva allait selon le cours de sa seule volonté. Isaac grondait et
tempêtait. Plus souvent qu’il l’aurait aimé, il punissait. La petite Éva le
toisait alors en silence. Son regard de mer tournait à la nuit. Son jeune corps
tout entier durci comme un reproche, elle subissait et attendait sa libération.
Après quoi, tout recommençait comme avant et elle s’empressait de prouver à son
père l’inutilité de ses châtiments.
Éva venait d’entrer dans sa sixième année quand Vögele
décida de s’en remettre à son père, le MaHaRaL. Notre Maître parut d’abord peu
enclin à accepter la charge de ce souci. Son épouse, Perl, lui rappela les
paroles qu’elle avait prononcées à la naissance de l’enfant : « Son
Jardin de la Connaissance, ce sera toi, son grand-père, le MaHaRaL de Prague.
Si tu es celui que je crois que tu es, cette petite Éva sera bien plutôt le
canal du Salut que le souvenir du péché. »
Le MaHaRaL laissa passer quelques semaines, occupé qu’il
était dans sa réfutation des propos d’un sage d’Italie, le Meor Enayim d’Azarya dei Rossi. Sa colère à la lecture de l’ouvrage d’Azarya m’avait
surpris autant que peiné et inquiété : j’étais celui qui lui avait mis
entre les mains ce livre que j’admirais assez et où il est dit : « Si
tu veux offrir un holocauste à Dieu, alors offre-le à la Vérité. »
Le MaHaRaL s’y opposa avec son habituelle vigueur. Dans
l’échange qu’il entretenait chaque semaine avec nous, ses élèves et disciples,
il nous conta une histoire qui figure dans le dernier chapitre du traité
Sanhédrin 97a du Talmud :
— « Rava raconte : J’étais persuadé que la
vérité n’est pas de ce monde jusqu’au jour où l’un des maîtres – il
s’appelait rav Tavot – me dit que pour tout l’or du monde il ne
proférerait le moindre mensonge. Un jour, il se rendit dans une ville dont le
nom était Vérité. Personne n’y mourait jamais. Il y prit femme et eut deux
enfants. Un matin, sa femme était en train de se coiffer lorsqu’une voisine
frappa à la porte. Il estima qu’il était indécent d’ouvrir et répondit que sa
femme n’y était pas. Là-dessus, ses deux enfants moururent. Les habitants de la
ville vinrent le trouver et lui demandèrent Que se passe-t-il ? Il leur narra
l’histoire. Ils lui dirent alors : S’il te plaît, quitte cette ville
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