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Le kabbaliste de Prague

Le kabbaliste de Prague

Titel: Le kabbaliste de Prague Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Halter,Marek
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qui n’était pas
difficile. Il quittait Prague pour Worms avec quatre voitures de draps et de
toiles de Bohême. Un chargement qu’il revendrait en Hollande. Notre
bourgmestre, le riche Mordechaï Maisel, était pour partie dans ce commerce. Une
cinquantaine d’hommes en armes assuraient la sécurité du convoi. Éva s’était
sans peine dissimulée parmi les servantes pour franchir les portes de notre
ville.
    — Quand nous fûmes parvenus ici, conclut Bachrach, nous
sommes allés sans attendre à la synagogue demander le mariage, afin de ne pas
vivre dans la faute.
    Pour la première fois, il eut une hésitation.
    — Ainsi, vous devez le comprendre : Éva ne m’a pas
suivi par amour. Elle voulait seulement fuir la folie de cette promesse.
    — Et de quoi vous faut-il la sauver aujourd’hui ?
    — Du dibbouq. Cela fait des mois que le dibbouq m’a
prise, David !
    Je sursautai si fort que je renversai la petite table devant
moi. Ce n’était pas Bachrach qui m’avait répondu, mais la voix d’Éva.
     
    Bachrach et moi fûmes debout. Elle se tenait sur le seuil
d’une porte s’ouvrant dans les tentures et que je n’avais pas devinée. Durant
un bref instant, il me sembla qu’elle appartenait aux personnages qui
entouraient Moïse dans sa fuite d’Égypte. Elle en avait la pâleur de visage, le
corps maigre dissimulé dans une longue robe, à peine pincée sous la poitrine et
dont le velours vert formait des plis aux reflets d’un gris soyeux. Des cernes
profonds creusaient son regard. Des yeux lointains, tout à la fois agités par
l’éclat provocant de sa détermination et la flamme fiévreuse d’une détresse si
intense que ma gorge se ferma à tous les mots que j’aurais voulu prononcer.
    Elle s’avança pourtant avec grâce, d’un pas qui paraissait
avoir acquis un balancement nouveau, comme si, d’aller et venir dans cette
maison princière, elle avait conquis une aisance désinvolte.
    Elle tendit la main droite à Bachrach, qui la baisa avec
tendresse. Puis nous fûmes face à face.
    Je me sus incapable d’un geste comme je l’étais d’une
parole. De près, la pâleur d’Éva témoignait de son épuisement. Je me souvins
des premières paroles de Bachrach : « Elle passe de mauvaises
nuits… » Oui, elle avait les lèvres transparentes, les tempes rosies de
fièvre et sa peau si fine se lustrait sur les pommettes d’une lueur maladive.
    Je secouai involontairement la tête, comme on le fait devant
ce qui nous désole. Un mouvement qu’elle comprit aussitôt. Les larmes
envahirent ses yeux. Elle murmura mon nom. Deux fois. Comme on appelle dans la
prière. Et d’un coup je la reçus contre moi.
    Elle noua ses bras autour de mon cou, y suspendit son corps
qui ne pesait rien. Je fermai les yeux, pris de vertige, et je crus m’effondrer
sous son élan. Je l’enlaçai et la soutins. Son souffle brûlait mon cou, le
mouillait de sanglots silencieux. Je mis quelques secondes à comprendre que ce
tremblement saccadé qui me frappait le ventre et la poitrine venait d’elle. Il
traversait les lourds tissus aussi aisément qu’un fin coton. C’étaient là les
spasmes d’une terreur absolue.
    Je rouvris les paupières. Bachrach nous avait tourné le dos
et regardait par la fenêtre. Je voulus repousser doucement Éva. Elle s’écarta
d’elle-même, d’un bond, saisie par la même violence avec laquelle elle m’avait
enlacé.
    Elle jeta un coup d’œil vers Bachrach avant de me
dire :
    — Le dibbouq m’emporte toutes les nuits, David. Je
n’ose plus fermer les yeux. Je crois dormir et il vient en moi. Il m’agite
comme une poupée. Je parle, mais ma voix n’est plus la mienne. C’est celle d’un
homme. Samuel en devient fou. C’est lui qui entend tout, car moi, après, je ne
me souviens de rien.
    — Un homme ?
    — Oui, une voix d’homme qui dit des choses dans une
langue que j’ignore. Ou peut-être les dit-il de manière qu’on ne puisse
comprendre. Maintenant, quand vient la nuit, je marche dans toutes les pièces
de la maison pour que le sommeil ne me rattrape pas. Mais il arrive toujours un
moment où je m’épuise. Alors le dibbouq s’empare de moi, et ça recommence…
    Elle se tut. Adressa encore un regard à son époux. Le visage
extraordinairement adouci par l’amour, Bachrach ouvrit les bras pour la
recevoir. Mais au lieu de s’y jeter elle eut un geste étrange. Elle saisit les
mains qui se tendaient vers elle pour y enfouir son visage

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