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Le kabbaliste de Prague

Le kabbaliste de Prague

Titel: Le kabbaliste de Prague Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Halter,Marek
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comme
s’il voulait effacer ce souvenir.
    — Surtout, cette folie est mauvaise pour notre voyage.
Ils vont fermer le pont. Que ce soit ceux du pape ou de Luther, voilà la
première chose qu’ils feront demain.
    Il n’avait pas besoin d’en dire davantage pour que je
comprenne. Je revoyais ce grand pont de bois jeté au travers du Rhin et qui,
pour ainsi dire, reliait l’est et l’ouest de l’Europe. Si l’on nous en
interdisait le passage, il faudrait parcourir des lieues avant de trouver un
bac. De surcroît, les eaux étaient grosses et traverser le fleuve pourrait
nécessiter des jours d’attente. D’autres ponts existaient à Bâle. Mais là, les
luthériens régnaient en maître sur la ville et l’avaient déclarée interdite aux
Juifs. S’y présenter serait un suicide.
    — Il nous faut partir cette nuit, conclut Bachrach.
Juste avant l’aube. Quand les gardes seront fatigués et ivres de vin autant que
de braillements et de sang. Et nous n’irons pas en convoi, seulement avec une
voiture. Sans autre garde qu’un serviteur et un cocher.
    Bachrach guetta ma réaction. J’avais assez voyagé pour
savoir ce que cela signifiait. Un équipage léger nous permettrait sans doute de
quitter plus facilement Worms, mais, ensuite, la route jusqu’à Prague n’en
serait que plus périlleuse. Cependant Bachrach avait raison, c’était un risque
à prendre. J’opinai.
    — Que le Saint-béni-soit-Il étende sa paume sur nous.
     
    Ainsi fut fait. Une heure avant l’aube, on ouvrit les
lourdes portes de la ville juive pour nous laisser passer. La voiture était
imposante. Quatre chevaux bais étaient attelés au limon. Finalement Bachrach
avait réclamé un deuxième serviteur. Des masses et des épées courtes avaient
été soigneusement disposées dans des coffres derrière le siège du cocher. À
l’intérieur, sous nos sièges rembourrés, Bachrach avait dissimulé deux paires
de pistolets de Brunswick. Des armes à feu comme je n’en avais encore jamais
vues. Elles pesaient cinq livres chacune. L’acier des canons, plus longs qu’une
main, était finement damassé, les bois des crosses tant incrustés de fleurs de
nacre et de filaments d’argent qu’on eût cru des bijoux.
    Au premier coup d’œil, chacun devinait l’équipage d’un riche
voyageur. Ce pouvait être un handicap autant qu’un atout, imposant la jalousie
et attirant l’envie autant que le respect et la crainte. En outre, la solidité
de la voiture, la puissance des chevaux avaient de quoi dissuader les rôdeurs
qui infestaient les chemins.
    Bachrach nous avait fait revêtir des vêtements de Gentils à
la mode allemande. Pour la première fois de ma vie je portais une jaquette à
rabats et un tricorne de bourgeois. Ma culotte n’était pas de drap noir, mais
d’une soie d’un bleu éclatant et piquée de rubans jaunes. Au moment de monter
dans la voiture, entouré par les torches des serviteurs, je devinai le sourire
d’Eva à me voir ainsi accoutré. Plutôt que d’en être mal à l’aise, le bonheur
que me procura ce sourire m’ôta la mauvaise conscience de me prêter à une telle
mascarade.
    Il ne me fallut pas longtemps pour me convaincre que
Bachrach avait vu juste et s’était réservé des moyens de persuasion.
    Nous fîmes un assez grand détour pour éviter l’intérieur de
la ville et parvenir au pont comme des étrangers. De loin nous aperçûmes les
torches éclairant son entrée. Nous redoutions une garde luthérienne plus que
les hommes de l’évêque. L’Éternel nous soutint, que Sa gloire ne cesse
jamais ! Les hommes qui s’affairaient à disposer un barrage portaient une
plume blanche à leur casque et des mantelets avec la croix papale sur leur
cuirasse.
    Le cocher fit avancer les bêtes au petit pas afin que nous
n’apparaissions en rien menaçants. Quand nous fûmes assez près, le visage de
ces hommes confirma nos calculs. La violence de la nuit, les horreurs
incessantes qu’ils avaient côtoyées creusaient leurs traits et voilaient leur
regard. Ils n’étaient qu’une quinzaine, certains très vieux et d’autres encore
imberbes. À la seule manière qu’ils avaient de porter leur lance on devinait
leur épuisement et qu’ils n’aspiraient qu’au sommeil.
    L’aube glissait à peine une blancheur dans le ciel de l’est.
Des torches éclairaient de loin en loin le tablier du pont qui paraissait
incroyablement long. Avant d’atteindre l’autre rive, il disparaissait dans

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