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Le kabbaliste de Prague

Le kabbaliste de Prague

Titel: Le kabbaliste de Prague Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Halter,Marek
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le jugement de l’Éternel ?
    — Quand Eva se réveillera, il faudra…, insista Isaac.
    — Il faudra qu’elle soit forte et qu’elle regarde de
ses yeux ce qu’elle a accompli et que nul autre qu’elle ne pourra porter… Si tu
dis vrai.
    Le MaHaRaL suspendit ses mots. À nouveau ses paupières se
baissèrent à demi. Sur un ton plus sec, il me demanda :
    — Comment t’est venue cette pensée qu’Éva pouvait être
un instrument du Saint Nom et que le Malin cherchait à la détourner de ce
rôle ?
    Je rougis jusqu’à la racine des cheveux. C’était bien la
question que je craignais le plus.
    — Pour être sincère, Maître, je l’ignore. Les mots sont
montés à ma bouche sans que j’y réfléchisse. Et quand je les ai prononcés, la
ruse du dibbouq me paraissait évidente. Depuis que j’ai entendu ce que j’ai entendu
dans l’auberge, je le crois plus encore. Pourtant la vérité est que je ne sais
pas de quoi je parle.
    Le MaHaRaL opina. Je crus voir un éclat d’amusement sous sa
barbe.
    — Bachrach était un homme beau et bon, éprouvai-je le
besoin d’ajouter. J’ai eu le temps de comprendre qu’il n’avait rien fait qui ne
fût par amour. Et avec le plus grand courage, comme il l’a montré à la fin. Ce
n’était pas un homme par qui les fautes adviennent.
    Le MaHaRaL eut un très léger signe d’acquiescement.
    — Il méritera que demain, dans le jour et sous la
protection de la garde de l’Empereur, on aille rechercher… les morceaux de son
corps.
    — Les morceaux…
    Isaac et moi avions poussé le même cri. Le MaHaRaL opina.
    — Ils l’ont dépecé à la hache. Que le
Saint-béni-soit-Il le reçoive auprès de Lui pour les générations à venir.
    — Mais les chiens, les bêtes ?… Cette nuit ?…
    Mon balbutiement ne méritait pas de réponse.
    À nouveau, l’image de Bachrach englouti dans la foule
éructant de haine et de joie à le dévorer me revint. Je devinai en cet instant
qu’elle me hanterait toujours.
    Et maintenant, lecteur, elle est devant moi, simple souvenir
déposé sur le dessus de l’infinité des horreurs inoubliables qui n’ont cessé de
s’empiler, formant à leur manière abominable une construction gigantesque, le
plus démentiel des monuments élevés à la gloire des haines meurtrières de
l’homme et toujours se dressant jusqu’à l’infini.
    Et de nouveau je songeai à Éva qui trouverait ces nouvelles
à son réveil. La perspective me glaça. Malgré moi, je dis à Isaac :
    — Peut-être que, quand il apprendra tout ça, Isaïe
pardonnera à Éva et saura enfin se rapprocher d’elle. Et Jacob aussi. Votre
promesse est brisée, mais elle ne le sera jamais autant que peut l’être ta
fille.
    La tristesse ravagea le visage d’Isaac. Il se voila la face.
    — Aïe, aïe aïe, David ! Jacob et son fils ont
quitté Prague juste après ton départ pour Worms. Isaïe ne supportait plus
d’être ici. Et quand je lui ai appris que tu étais allé chercher Éva, cela l’a
encore plus effrayé. Il a décidé de rejoindre le rabbi Salomon à Safed, sur la
terre sacrée, pour y suivre son enseignement nouveau sur la Kabbale. Jacob n’a
pas eu le courage de laisser son fils affronter seul les risques du voyage.
     
    Éva dormit durant trois jours. Cela inquiéta Vögele et Isaac
mais me soulagea. Elle n’eut pas à piétiner dans l’horreur comme nous le fîmes
au lendemain de notre arrivée.
    Muni d’une béquille pour soulager la blessure de ma cuisse,
je voulus aller avec les autres récolter les morceaux du corps de Bachrach.
    Sous la protection des gardes de l’Empereur, il nous fallut
plus d’une heure pour retrouver, dans les herbes bordant la Vltava, les membres
éparpillés que les haches et les coutelas de chasse avaient découpés en petites
parties. Leur dispersion était si vaste qu’on eût cru qu’une explosion de
poudre avait soufflé Bachrach.
    Le plus long fut de retrouver la tête. Elle avait été
plantée sur une pique et jetée dans une fange où se vautraient des porcs à
l’orée de la ville. Quand on découvrit son buste, ce fut pour s’apercevoir que
les massacreurs en avaient arraché le cœur. Un cœur que l’on ne retrouva pas,
pas plus que les doigts de Bachrach, tous découpés et jetés aux chiens avec ses
viscères.
    Une boucherie épouvantable à laquelle nous ne pouvions faire
face sans vomir et pleurer. Ce qui avait été un homme finit par emplir le fond
d’un sac de

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