Le kabbaliste de Prague
hébreu et avec un respect qui nous
impressionna.
Le bourgmestre Maisel lança d’une voix forte quelques mots à
sa louange. À peine s’inclina-t-il dans une nouvelle révérence que jaillirent
des vivats à la gloire de l’Empereur. Ils parurent si naturels et tellement
enthousiastes que tous nous les reprîmes, faisant vibrer les murs de nos
maisons.
Cependant, Rodolphe était plein d’impatience. Avec un geste
qui nous stupéfia et que nul d’entre nous n’aurait osé, il saisit le coude du
MaHaRaL et se fit conduire près du prodige qui, fit-il savoir d’une voix forte,
l’avait tenu plus éveillé encore que l’espoir de voir des habitants sur la
lune, qui était pourtant la cause ordinaire de ses insomnies.
Le chambellan et toutes les têtes brillantes de la cour se
massèrent à leur suite. Ce fut une troupe compacte qui déboucha sur la place de
l’hôtel de ville à bonne distance de Golem.
La grimace de l’Empereur fut plaisante à voir, de même que
les exclamations de répugnance qui jaillirent dans la noblesse. De fait, Golem
était encore recroquevillé dans la position de la nuit. Sous la chaleur du
premier soleil, il avait perdu sa pellicule de givre. Sa glaise paraissait
aussi visqueuse et déplaisante que les berges de la Vltava lors des basses
eaux, et l’on distinguait à peine sa tête, enfouie et comme fondue dans la
mollesse suintante de ses bras.
Rodolphe s’avança avec précaution. Accompagné du chambellan
et de quelques gardes portant la lance à bas, il fit le tour de Golem à bonne
distance. Le reste des courtisans demeura en retrait. Leurs yeux ironiques nous
dévisageaient autant qu’ils guettaient la masse bizarre du monstre.
Une fois son tour accompli, Rodolphe se rapprocha du
MaHaRaL. La bouche déçue, il déclara :
— C’est très laid et ça ne bouge pas.
Comme à son habitude, notre Maître ne laissa rien paraître.
Il s’approcha de Golem. Là, prenant soin de tourner le dos à l’Empereur et à la
cour, d’un geste de la main que nous connaissions désormais, il frôla la glaise
de Golem.
Il n’y eut, cette fois, aucune des luminescences
extraordinaires auxquelles nous avions assisté la veille avant la bataille.
Mais Golem s’éveilla.
Avec une souplesse peu imaginable, il se déploya et fut
debout, énorme et effarant.
Rodolphe demeura sans voix. Sa bouche béa sur son large
menton. Ses yeux peinaient à croire ce qu’ils voyaient.
De petits glapissements d’effroi retentirent dans la foule
de sa cour.
En vérité, nous étions nous aussi sidérés dès que Golem
s’animait. Il fit quelques pas maladroits. La main levée du MaHaRaL pivota.
Comme s’il était conduit par un fil invisible, Golem pivota à son tour. Il fit
face à l’Empereur et à ses courtisans. Ils découvrirent avec stupéfaction les
quatre lettres de son front, les pierres de ses yeux et l’absence de bouche.
Cette masse colossale, ces membres énormes et difformes, ce
visage sans rien d’humain terrifiaient. L’Empereur recula de trois pas, et sa
suite de deux fois plus.
Rodolphe demanda au MaHaRaL :
— Êtes-vous sûr qu’il vous obéit bien ?
— Par la grâce du Saint-béni-soit-Il, Golem n’est rien
d’autre que ma volonté.
Pour le prouver, le MaHaRaL baissa la main et ordonna
paisiblement :
— Va et salue notre Empereur, qui nous aime et nous
protège.
Golem s’élança aussitôt en direction de Rodolphe. À le voir
approcher, la terreur saisit l’Empereur autant que la noblesse. Ils se mirent à
reculer tandis que Golem avançait. Des cris jaillirent. Les gardes du souverain
pointèrent leurs lances mais reculèrent encore plus vite.
Des rires mal étouffés fusèrent parmi nous. Le chambellan
les entendit et nous jeta un regard fulminant. D’un mouvement élégant, il
parvint à ralentir la retraite de Rodolphe. Il lui murmura à l’oreille.
L’Empereur se mordit les lèvres et s’immobilisa. Golem aussitôt l’imita. Sa
masse oscilla. Sa jambe droite plia. La glaise de son genou épousa le sol et il
inclina cérémonieusement sa tête énorme.
La bouche toujours béante, Rodolphe demeura dans un silence
subjugué. Son visage était sans beaucoup plus d’expression que celui de Golem.
La haute silhouette de notre Maître n’avait pas bougé. Il tenait maintenant les
mains refermées l’une sur l’autre devant lui.
Comme Golem demeurait dans son salut, un soupir s’exhala de
la vaste poitrine de Rodolphe. L’Empereur se
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