Le kabbaliste de Prague
demande. C’est
mon Golem à moi. Il faut en profiter tant que ses caisses sont pleines. Ce qui
ne saurait durer.
Puis, me faisant sursauter, il héla un jeune homme qui
l’attendait au pied de sa voiture. Un jeune homme mince, la mine maladive mais
le regard brillant d’intelligence. Il portait l’habit noir et sans fioriture
que j’avais vu si souvent dans les pays du Nord. Le sien n’était pas nouveau et
déjà bien râpé.
— Viens que je te présente Kepler ! s’écria Tycho.
C’est une tête rare et bien faite qui ne pense que mathématiques. Kepler
effectue des calculs pour moi. Avec ce que je lui ai confié, il a de l’ouvrage
pour vingt ans.
Kepler me salua avec cette distance que je lui ai, par la
suite, toujours connue. Il n’y avait pas plus dissemblable de Tycho que lui. Il
n’avait ni le goût du spectacle ni celui de l’extravagance. Et peut-être bien
qu’il ne possédait pas non plus la tolérance et même l’intérêt amical de Tycho
envers les Juifs.
Par la suite, je me rendis compte qu’ils s’accordaient
cependant sur des points bien suffisants. Tous les deux partageaient une
passion exclusive pour la connaissance et la science des étoiles, ainsi que
l’ambition immodérée d’être les plus savants. Et, à leur manière jalouse et
secrète, ils s’admiraient mutuellement.
Le salut de Kepler fut raide et sans sourire. À mon
étonnement, il ne montra aucune curiosité particulière pour le Golem ou le
MaHaRaL. C’est Tycho, avant de repartir, incliné par la vitre de sa voiture,
qui me demanda, en frappant doucement son nez de cuir du bout de l’index :
— Bien sûr, tu ne connais pas le secret de ton MaHaRaL,
David Gans ?
— C’est un secret que vous connaissez, seigneur Brahé,
répondis-je en riant. Puisque vous en savez autant que moi sur la Kabbale.
Le rire de Tycho rugit sans entamer la moue de Kepler. Puis
Tycho, baissant la voix, ajouta :
— S’il est un conseil que je puis te donner, c’est de
veiller à défendre un tel secret. Ce vieux fou de Rodolphe ne songe qu’à vous
le prendre. Et demain ou après-demain, toute l’Europe se pressera ici pour
admirer votre Golem. Eux aussi ne songeront qu’à une chose : voler votre
secret. Vous ne connaîtrez pas de répit.
3
Tycho avait raison. Les mois et même l’année tout entière
qui suivirent le prouvèrent.
Dès les premiers jours de la vie de Golem, le MaHaRaL édicta
une règle simple : Golem veillait au cœur de notre ville, il était inutile
de l’animer quotidiennement, puisque aucun danger ne nous menaçait. C’était une
mesure de sagesse. Hélas, elle devint vite impossible à appliquer.
Il se passa à peine un shabbat avant que se montrent les
curieux. Bravant le gel, la pluie, les routes incertaines, la fatigue, les
premiers arrivèrent des villes proches. Puis, comme si la nouvelle de la
naissance de Golem avait couru avec les nuages, ce furent des cohortes
d’enfants de Sion, élèves des yechivot de Pologne ou d’Allemagne, qui voulaient
pieusement admirer l’œuvre du MaHaRaL.
Ce qu’ils découvraient les plongeait dans une immense
déception. Sur la place de l’hôtel de ville, Golem n’était qu’une énormité de
boue terne qui n’impressionnait que par sa laideur.
Tous voulaient voir Golem en mouvement.
Le bourgmestre Maisel se fit leur messager compréhensif et
tenta d’intercéder auprès du MaHaRaL, arguant que c’était de bonne politique
pour nous. La réponse de notre Maître tomba tel un couperet. Ce qu’il avait
fait pour la curiosité de l’Empereur était impossible à répéter pour tout un
chacun.
— Croyez-vous que Golem soit comme ces singes
qu’exhibent les bateleurs sur les places de marché ? Honte à vous, si cela
vous vient à l’esprit. Golem est le Verbe et la puissance du Saint Nom.
Après quoi il s’enferma dans le klaus pour plusieurs jours,
refusant de s’adresser à quiconque, même à nous, ses disciples.
Cependant, les curieux continuèrent d’affluer, et on
trouvait parmi eux un nombre de plus en plus important de Gentils. Ceux-là
montraient une déception bruyante et la rumeur commença à courir que Golem
n’était qu’une supercherie.
Le bourgmestre Maisel s’en alarma et réclama un entretien au
MaHaRaL. Quand il eut exposé son souci, notre Maître lui répondit :
— Qu’ils croient ce qu’ils croient. Que nous
importe ?
— Plus qu’il n’y paraît, Haut Rabbi. À nouveau on
murmure
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