Le kabbaliste de Prague
réanima, une sorte de rictus amusé
plissa ses lèvres. D’une voix forte, à l’attention de Golem et, comme si la
puissance de sa voix un peu aiguë allait traverser l’épaisseur de la glaise, il
s’écria :
— C’est bien, Golem ! Moi aussi je te salue.
Maintenant, tu peux te relever.
Il joignit à ses paroles ce geste avec lequel si souvent il
congédiait ses visiteurs.
Rien ne se passa. Golem demeura dans sa posture
respectueuse.
Rodolphe répéta son geste avec plus d’énergie. Plus
bruyamment, il lança :
— Allez, debout !
Un silence embarrassé souligna l’impuissance de ses mots.
Rodolphe s’approcha. Étant parvenu à déchiffrer les quatre
lettres sur le front de Golem, il cria :
— ÈMET ! ÈMET ! Allez, debout !
Lève-toi, je le veux.
Il gesticula. La colère conférait à ses mouvements une
énergie que notre Maître jugea bon d’apaiser. Il s’approcha et, d’un ton doux,
lui dit :
— Cela ne se peut, Votre Majesté. Golem est la volonté
de celui seul par qui il vient dans le monde des hommes.
Rodolphe ne répondit pas sur-le-champ. Il considéra la tête
basse de Golem en essayant de bien comprendre ce que ces mots signifiaient. Puis
il se tourna vers le MaHaRaL avec étonnement.
— Et personne d’autre ?
— Personne d’autre, Votre Majesté. Sinon l’Éternel
Lui-même.
— Votre pouvoir à vous, rabbi, et uniquement le
vôtre ?
— Oui, sire.
— Et si vous lui ordonnez d’aller démolir mon château
il le fera ?
— Il ne le fera pas, car pourquoi en exprimerais-je le
désir ?
— Quand on a le pouvoir de marcher sur le monde, on a
le désir d’user de ce pouvoir.
— C’est selon qui l’on est, Votre Majesté. On peut
désirer le pouvoir par goût d’être le Maître. Ou être le Maître et user du
pouvoir pour demeurer en paix.
Rodolphe laissa passer un peu de temps afin que les mots
fraient leur chemin en lui. Puis il approuva avec un sourire.
— C’est bien dit.
— Ici, insista le MaHaRaL, nous n’aimons que le pouvoir
de la paix, Votre Majesté. Celui qui nous protège contre ceux qui ont pris goût
à nous tuer.
Ces paroles étaient assez fortes pour que chacun puisse les
entendre.
— Moi aussi, j’aime la paix, déclara Rodolphe. Il
suffit bien des Turcs pour n’aimer que la guerre.
Rodolphe souriait, ce qui lançait son menton en avant. Puis
un air de ruse passa dans le feu sombre de ses yeux. Il demanda :
— Que se passerait-il si Golem venait à perdre ces
lettres sur son front ?
— La boue de Golem est née du Verbe, elle retournerait
au silence, répondit notre Maître sans détour.
Et, sans attendre de réplique, sa paume droite eut un simple
mouvement. Golem redressa la tête, puis toute sa taille.
Le MaHaRaL laissa passer quelques secondes, observant les
pensées qui couraient sur les visages du chambellan et des courtisans les plus
proches. Puis il demanda :
— Mais qui saurait lui enlever ce Verbe qui le tient
debout ?
Ce fut alors que la visite de l’Empereur s’achevait, dans la
confusion des attelages et les manifestations d’impatience des courtisans,
qu’une voix lança mon nom :
— David Gans !
Je me retournai et reconnus le visage inoubliable de Tycho
Brahé. La fuite du Danemark l’avait vieilli mais, à mon grand plaisir, il me
serra contre sa large poitrine avec un enthousiasme qui valait le mien.
— Ah ! s’exclama-t-il, si je n’avais de mes yeux
vu ton MaHaRaL et son Golem, je ne pourrais pas le croire !
Il paraissait moins impressionné que d’autres. Néanmoins, je
connaissais son orgueil. Tycho était de ces hommes qui n’auraient voulu pour
rien au monde paraître admiratifs d’une œuvre qui ne sortait pas de leur
esprit.
Ses sourcils se froncèrent. Son ton se fit grondeur :
— Cela fait des mois déjà que j’observe le ciel depuis ce
château de Benatek. Ce n’est qu’à une heure de Prague. Pourquoi n’es-tu pas
venu me voir ? J’aurais besoin de tes traductions.
J’hésitai à lui confier la vérité. Mais à quoi bon ?
Maintenant que Golem était là, je préférais le plaisir de lui annoncer ma
visite pour bientôt.
— Benatek n’est pas aussi beau que l’Uraniborg de
Venusia, cependant on y fait un bon travail.
Il eut une grimace en direction du carrosse de Rodolphe qui
s’éloignait, m’agrippa le bras pour me serrer contre lui et parler à voix basse :
— Ce vieux fou fait tout ce que je lui
Weitere Kostenlose Bücher