Le lacrima Christi
Elizabeth revint vers sa chaire où elle s'affala. Elle voulut parler.
— Quelle preuve ? suggéra Kathryn avec calme. Est- ce la question que vous voulez me poser ? Eh bien, Maître Murtagh et moi avons travaillé toute la nuit. Eleanora, votre suivante, a tout avoué.
— Jamais !
— Jamais quoi, Lady Elizabeth ? Elle n'a jamais avoué ou elle n'a jamais été impliquée dans le meurtre ?
Laissez-moi vous répéter ce qu'Eleanora nous a raconté, continua Kathryn d'un ton uni, mais sans oser se retourner pour regarder Colum. Mawsby devait vous accompagner à Cantorbéry. Mais, avant de partir, il nous a rencontrés, Maître Murtagh et moi, dans le cabinet de travail de votre mari. J'ai remarqué le beau pichet et les coupes. Mawsby buvait dans l'une d'entre elles pendant que je lisais les documents de Sir Walter. Vous avez dépêché votre suivante avec un message disant que vous quittiez Ingoldby pour Cantorbéry. Nous sommes donc sortis de la pièce et descendus. Je suis certaine que le secrétaire a fermé la porte derrière lui. Néanmoins, pendant que nous attendions, Eleanora est retournée sans bruit dans le cabinet de travail. Elle a versé un peu de vin dans deux des gobelets et a déposé des grains d'aconit dans celui qui était propre. Puis elle a emporté le pichet à la fenêtre qu'elle a ouverte et a jeté son contenu dehors. Elle a remis le pichet sur le plateau et a quitté la salle en fermant la porte à clé.
L'apothicaire fit une pause en priant en silence que sa manœuvre réussisse.
— Plus tard, ce même jour, reprit-elle, peut-être juste avant minuit, Mawsby et tous les autres sont rentrés de Cantorbéry. Le cabinet de travail était le repaire favori de Mawsby. Il avait déjà beaucoup bu. Il était très tourmenté. Il ne comprenait pas tout à fait ce qui était arrivé à Cantorbéry, aussi s'est-il réfugié en ce lieu.
L'apothicaire tendit le doigt vers Lady Elizabeth.
— Vous avez fait en sorte qu'il s'y rende. Avant qu'il reparte au château, vous l'aviez prié d'examiner le testament de Sir Walter ou l'aviez chargé d'une tâche qui devait être accomplie sur-le-champ.
Lady Elizabeth ne répondit pas mais jeta un regard torve à son interlocutrice.
— Je n'ai pas terminé, dit Kathryn avec un sourire.
Mawsby allume quelques chandelles et se dirige vers le pichet. Il est vide, aussi ordonne-t-il à une servante de l'aller remplir. Elle obtempère. Mawsby - et vous devez vous souvenir que, dans le cabinet, la lumière est faible - prend, tout naturellement, le gobelet qui n'a pas contenu de vin.
Tout le monde agit de même : j'ai fait l'expérience la nuit dernière sur Maître Murtagh. Eleanora a sali les deux autres, obligeant donc Mawsby à choisir celui dans lequel se trouve l'aconit. Il se verse à boire et se met à faire les cent pas. Ce qu'il déguste à présent n'est pas le meilleur des bourgognes mais le plus terrible des poisons. S'il a compris ce qui se passait, alors il n'aura disposé que de peu de temps pour exprimer ses regrets. La mort a dû être quasi instantanée. L'aconit ne pardonne pas, mais comment est-il venu là? Eh bien, c'est comme ça que nous avons acculé Eleanora, continua Kathryn d'un ton léger en levant la main, les doigts écartés. Il n'existe que deux clés du cabinet de travail. Vous en détenez une et Mawsby l'autre. Qui d'autre aurait pu empoisonner cette coupe ? Qui aurait pu verser le contenu du pichet par la fenêtre ? Il est clair que Mawsby a été pris au piège et tué par ses complices.
La châtelaine tenta de contrôler son ire.
— Ses complices ! Vous oubliez, Lady Elizabeth, que cette nuit-là, on a tenté moi aussi de m'empoisonner à Cantorbéry !
— Oh, ce fut une belle comédie ! rétorqua Kathryn. Je peux vous décrire moult façons de vous rendre malade et de donner à une coupe vide un parfum âcre. Ajouter du sel ou une concoction d'herbe en est une. Vous avez bien joué votre rôle : vomissements, haut-le cœur et pâmoison. Ce faisant, vous avez fait tomber votre écuelle et votre gobelet dans la jonchée. On pouvait compter sur la sollicitude des frères de Cantorbéry. Le réfectoire est public et ils s'enorgueillissent de leur propreté. La coupe avait été vidée et la jonchée, tachée et polluée, devait être changée sans attendre et brûlée. Eleanora, ajouta-t-elle, a aussi avoué cela. Tout ce qui aurait pu prouver un simulacre d'empoisonnement disparaissait.
— Eleanora vous a-t-elle
Weitere Kostenlose Bücher