Le lacrima Christi
le temps de se lever que la châtelaine s'emparait de la clé sur la serrure. Colum n'eut pas le temps de parvenir sur le seuil : elle avait déjà ouvert l'huis, l'avait refermé à la volée et avait tourné la clé. Colum tambourina sur les panneaux de bois.
Lady Elizabeth poussa des cris stridents et se précipita dans la galerie. Murtagh tira son épée et usa du pommeau comme d'un petit bélier pour faire éclater le bois.
— Que se passe-t-il ? s'inquiéta une voix.
— Ouvrez cette porte au nom du roi ! ordonna Colum.
— Mais c'est Lady Elizabeth qui a la clé. Qu'y a-t-il ?
répéta une servante d'une voix apeurée.
Kathryn courut vers la fenêtre et ouvrit l'un des petits battants.
— Colum !
Il accourut, l'écarta avec douceur et enjamba le rebord.
Kathryn, à l'aide d'un tabouret, l'imita et Colum l'aida à descendre sur le talus herbeux. Ils firent à toute vitesse le tour de la demeure. La porte principale était ouverte et des serviteurs se pressaient dans le grand vestibule. Une servante sanglotait, en proie à une crise de nerfs. Une autre, au milieu de l'escalier monumental, cherchait des yeux sa maîtresse éperdue.
— Qu'est-il arrivé ? questionna un solide palefrenier en se plantant devant Murtagh. Tous les gens de la maison sont aux arrêts, grasseya-t-il d'une voix empâtée, et voilà qu'elle hurle comme un esprit !
Colum, sanglant derechef le baudrier qu'il avait ôté pour passer par la fenêtre, glissa le bout de la ceinture dans la boucle et tira son épée d'un grand geste. Le palefrenier recula.
— Écartez-vous ! Ceci regarde le roi, bien que je pense devoir recourir à vous '
Murtagh
et
Kathryn
montèrent
l'escalier,
suivis
craintivement par les valets. L'huis de la chambre de Lady Elizabeth était fermé et ils durent se servir d'un banc pris dans la grand-salle pour l'arracher de ses épais gonds de cuir. A l'intérieur gisait Lady Elizabeth, un gobelet de vin sur le sol près d'elle. On ne pouvait déjà plus rien pour elle. Son corps était agité de spasmes, sa tête roulait en tous sens, et ses paupières battaient. Une écume jaune tachait ses lèvres et une souffrance intense tordait les muscles de son visage. Kathryn lui tâta les mains et observa avec soin les yeux entrouverts.
— Du poison ! déclara-t-elle en ramassant la gobelet dont elle huma le bord incrusté de pierreries.
La douceur du vin blanc ne pouvait masquer l'odeur âcre.
— De la belladone, de l'aconit, murmura-t-elle.
Colum ordonna aux serviteurs de revenir comme Kathryn prenait la main de la châtelaine. La mourante était livide. L'apothicaire était certaine que, à travers ses yeux mi-clos, Lady Elizabeth était consciente de sa présence.
Cette dernière voulut parler mais seules des gouttes de salive se formèrent sur ses lèvres. Une autre horrible convulsion, la tête tressauta puis retomba sur le côté, les yeux devinrent vitreux, la bouche et la mâchoire se relâchèrent. Kathryn appuya la main contre le cou de la moribonde.
— Que Dieu ait pitié d'elle ! Elle est morte !
annonça-t-elle.
Les valets, sur le seuil, l'entendirent, ce qui déclencha lamentations et exclamations. Colum les fit taire et les renvoya avec bienveillance. Kathryn regarda encore quelques instants le cadavre. Elle repoussa avec douceur une mèche des soyeux cheveux blonds.
— Elle était si belle ! murmura-t-elle. Quel gâchis !
Elle baissa les yeux sur le visage livide et réfléchit à ce qu'elle avait fait. Mais quelle autre voie aurait-elle pu choisir ? Plus elle s'était confrontée à Lady Elizabeth, plus sa cause s'était aggravée.
Colum revint dans la chambre.
— Kathryn, nous devrions nous en aller. J'ai donné des instructions aux servantes : elles étendront le corps de Lady Elizabeth sur le lit et s'en occuperont. Cela va faire du bruit : c'est un suicide et on exigera qu'elle soit enterrée à la croisée des chemins !
— Je ne crois pas, dit l'apothicaire en caressant la joue de la défunte. Le père prieur de Greyfriars me doit une grande faveur. Il aura une autre dépouille à ensevelir dans le carré des indigents.
Elle jeta un dernier coup d'œil à la morte et sortit. Ils regagnèrent le solar. On avait retrouvé la clé que Lady Elizabeth avait laissé tomber en s'enfuyant. Ils rassemblèrent leurs affaires et se rendirent aux écuries. Le soleil était ardent à présent. Une odeur de chevaux, de crottin, d'avoine, de son et de foin flottait dans l'air.
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