Le lacrima Christi
s'effondra, haletante. Deux soldats la remirent debout sans ménagement et, sans tenir compte de sa douleur, lui lièrent les poignets. Le changement qui s'opéra en elle impressionna Kathryn. Ce n'était plus la jolie Eleanora à la peau mate. Malgré sa souffrance, elle tenta derechef de se jeter en avant. Ses yeux noirs étaient pleins de haine et sa bouche marmonnait des jurons muets.
Kathryn s'avança.
— Vous êtes coupable, dit-elle d'un ton uni. Votre maîtresse nous a tout raconté: votre vie d'autrefois, votre parent tué à Towton, la façon dont vous avez séduit, puis assassiné, Mawsby.
Elle regarda avec calme les yeux haineux d'Eleanora. Elle n'éprouvait aucun remords. Elle ne pouvait se souvenir que de la malheureuse Veronica, flottant sur le ventre dans la mare, que du chagrin atroce de son père, de la brutalité du trépas d'Hockley et de la sinistre attaque dont elle avait été victime. Elle aperçut la rose d'or pendue au bout de la chaîne d'argent au cou de la suivante. Elle eut envie de l'arracher mais changea d'avis et retira sa main. En phrases courtes et percutantes, elle détailla les accusations portées contre Lady Elizabeth et précisa que cette dernière ne les avait pas réfutées mais bien confirmé en se suicidant À ces mots, Eleanora rejeta la tête en arrière, poussa
un hurlement jusqu'au ciel et vomit un nouveau chapelet d'injures.
— Vous serez traînée devant la justice du roi, l'interrompit Kathryn.
— Je ne peux y croire ! s'exclama Gurnell.
Kathryn lança un coup d'œil sur les autres membres de la maison. Thurston était assis sur le sol, la tête dans les mains. Le père John, muet, fixait un point plus loin sur le chemin.
— Je ne peux y croire, répéta Gurnell en esquissant un pas en avant.
L'un des hommes de Murtagh le repoussa. Eleanora recommença à jurer, mais un garde lui mit la main sur la bouche. Elle se débattit, puis se tut et se laissa tomber entre les deux hommes qui la retenaient.
— Emmenez-la, ordonna l'apothicaire. Remettez-la au shérif.
On l'entraîna. Arrivée sur le seuil, elle se débattit encore, jeta un regard par-dessus son épaule et jeta une malédiction avant d'être entraînée dans l'ombre. Kathryn se sentit soudain lasse. Elle avait envie d'être loin d'ici.
— Maître Gurnell, père John, Maître Thurston, vous pouvez partir.
On amena leurs chevaux et on aida Kathryn à enfourcher le sien. Elle rassembla les rênes.
Le père John s'approcha, prit la bride de sa monture et leva ses yeux brillant de larmes sur l'apothicaire.
— Maîtresse Swinbrooke, je retournerai à Ingoldby Hall réciter des prières sur le corps de Lady Elizabeth. Puis je me rendrai dans un endroit où ne règne pas le mal, dans un cloître silencieux et paisible.
— Bonne chance, mon père.
Il ne lâchait toujours pas la bride.
— La première fois où je vous ai rencontrée, Maîtresse Swinbrooke, je vous ai trouvée simplement avenante. Mais à présent, quand je vous regarde, je pense au verset d'Isaïe sur la colère de Dieu éclatant comme un feu.
Il ôta sa main et recula.
— Je ne m'étais jamais rendu compte que la vengeance divine pouvait s'exercer par l'entremise d'un visage souriant.
Il esquissa une bénédiction et suivit Gurnell dans le pavillon.
Colum et Kathryn se mirent en route vers le chemin qui menait au carrefour.
— Est-ce ainsi que vous vous voyez, s'enquit Colum, comme chargée de la vengeance de Dieu ?
Kathryn repoussa son capuchon pour savourer la brise du petit matin.
— Non. Lady Elizabeth et Eleanora étaient des filles de Caïn. Je suis persuadée, Colum, dit-elle en montrant les corneilles qui tournoyaient en cercle haut dans le ciel, que quel que soit le mal que nous commettons, il vole comme un oiseau de nuit mais revient toujours nous hanter. Ce n'est qu'une affaire de temps et d'endroit ; c'est à Dieu de choisir. Nos âmes sont semblables à de vastes maisons, elles ont plusieurs pièces et le mal que nous faisons dans l'une nous poursuit à jamais.
— Et le bien ? plaisanta Colum.
Kathryn se pencha.
— Le bien que nous faisons, Colum, demeure aussi.
Quant à moi je ne vous abandonnerai jamais, mon cœur.
Soyez-en assuré !
NOTE DE L'AUTEUR
Ce roman aborde plusieurs thèmes très intéressants.
D'abord, la médecine médiévale était peut-être plus avancée qu'on ne le croit. Comme de nos jours, charlatans et rebouteux faisaient florès, mais bien des médecins étaient de bons
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