Le lacrima Christi
franchie et pourtant le rubis a disparu.
Le Lacrima Christi a disparu !
Il se leva, grimaça de douleur, se frotta la cuisse droite et chancela un peu.
— Je suis navré, s'excusa-t-il, mais quand on vieillit, le corps proteste !
— Avez-vous interrogé le larron ? demanda frère Ralph.
— Oui, répondirent en chœur Kathryn et Colum.
— Laus Tibi n'a rien vu d'insolite, précisa la jeune femme. Il n'a pas pu être mêlé à cette malice.
— Malice? s'indigna le prieur en tendant son cou décharné comme celui d'un poulet. Malice ?
Kathryn ne broncha pas.
— Je ne crois pas, mon père, que saint Michel ait fondu sur cette chapelle pour dérober le rubis. Si le Seigneur désirait une pierre précieuse, je ne pense pas qu'il en volerait une dans une église.
Luberon se mit à rire derechef.
— Cette chapelle a été dévalisée par un larron rusé qui a bien organisé son méfait et l'a mené à bien, continua-t-elle sur un ton plus calme. Voyons, quelque chose de bizarre s'est-il produit dans les heures précédant la disparition du Lacrima Christi ? Allons, allons, mon père...
Elle posa la main sur la sienne.
— ... vous êtes prêtre et théologien. Oubliez les fables : c'est là l'œuvre d'un homme et non de Dieu.
Barnabas se détendit.
— Je ne sais comment je pourrai présenter tout cela à Sir Walter. Mais non, il ne s'est rien produit d'insolite. Les pèlerins entrent, passent devant la grille et déposent leur pièce dans nos sacs. Certains allument un cierge devant l'autel de Notre-Dame, d'autres veulent bavarder et d'autres se rassemblent autour du jubé pendant que nous chantons la messe. Sir Walter est venu.
Il leva les yeux.
— Oui, en compagnie du père John, son chapelain. Hier, en fin d'après-midi. Sir Walter a insisté pour qu'on le traite comme les autres. Il a versé une pièce d'argent et a jeté un coup d'œil à travers la grille. J'ai seulement remarqué qu'il pleurait en repartant. Il a essayé de le cacher mais je l'ai vu s'essuyer les joues. Le père John lui tapotait le bras comme pour le consoler.
— Et savez-vous pourquoi ?
Le prieur fixa les yeux de cette jeune femme. Quel âge avait-elle ? Vingt-quatre, vingt-cinq printemps ? Il fouilla sa mémoire. N'avait-elle pas été mariée ? Des bruits avaient couru à ce sujet mais il ne savait plus lesquels. Sous ses grands airs, Barnabas était mal à l'aise. Les yeux de Maîtresse Swinbrooke étaient-ils bleus ou verts ? Elle avait un regard franc. Il soupçonnait pourtant que, sous son apparence douce et gracieuse, elle cachait un caractère de fer et un esprit vif. Il maîtrisa sa propre nervosité.
— Eh bien, mon père ?
Il déglutit avec peine.
— J'ignore tout, Maîtresse Swinbrooke, de l'humeur de Sir Walter.
— Et ce larron au nom étrange ? interrogea Colum en se dirigeant vers l'huis de la chapelle.
— Laus Tibi ? C'est un voleur, un coupe-bourse, dit le prieur. Il a l'esprit tourneboulé par la peur.
— Je le comprends, lança Colum par-dessus son épaule.
Des baillis sont installés dehors à chaque issue de cette église.
— Le maire est bien déterminé, intervint Luberon, à ce que nul tire-laine, nul coquin, ne trouble les pèlerinages.
Les baillis veulent pendre Laus Tibi en guise d'avertissement pour les autres.
— Il demeurera céans quarante jours, précisa Barnabas.
Puis nous lui fournirons de la nourriture et un crucifix. Il jurera de quitter le royaume et se rendra à Douvres.
Colum examina une fresque aux couleurs vives montrant deux démons attisant les feux de l'Enfer. « Oui, pensa-t-il, et le pauvre bougre n'atteindra jamais le port. » Murtagh connaissait la loi. Si Laus Tibi abandonnait la grand-route on pouvait l'arrêter et le pendre sur-le-champ. Les officiers y veilleraient. La seule protection du malheureux était de se joindre à un groupe de pèlerins, mais qui le prendrait en pitié ?
— Que pourrait faire un voleur du Lacrima Christi ? fit-il remarquer.
— Il pourrait le vendre à l'étranger, fit observer Luberon en se tamponnant le visage avec un mouchoir sale.
Nombreux seraient ceux qui en donneraient un bon prix.
Kathryn leva les yeux vers la lumière qui passait par la fenêtre. Elle avait eu une journée laborieuse, de longues files de malades et de pèlerins voulant acquérir herbes et potions. Elle avait aidé Thomasina à brasser la bière. Wulf, l'enfant trouvé, son petit apprenti, s'était querellé tout le jour avec Agnes, la servante.
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