Le lacrima Christi
retourné, mais l'assassin lui a tranché la tête sans plus de mal qu'on cueille une pomme sur un pommier...
CHAPITRE II
« La vérité sur le meurtre finit toujours par se découvrir... »
Chaucer, « Le conte du Prêtre des nonnains », Les Contes de Cantorbéry, 1387
Kathryn Swinbrooke prit une profonde inspiration et regarda l'immense cheminée construite contre le mur du fond. Une étagère garnie de belles figurines de marbre la surmontait. Après avoir hésité quelques secondes, elle reconnut les pièces d'un jeu d'échecs : le cheval, le fou, la reine et le roi. Les griffons rouges aux yeux réchampis en bleu
qui
flanquaient
l'âtre
la
fascinèrent
tout
particulièrement. Leurs babines retroussées laissaient voir des dents blanches et pointues et leurs pattes menaçantes griffaient l'air. Le sculpteur les avait figés dans une position d'attaque. Le foyer ouvert était vide et caché par un écran décoré. La beauté de la pièce émerveillait la jeune femme.
Une mosaïque à losanges noirs et blancs dallait le sol et des lambris sculptés selon la nouvelle mode montaient à mi-hauteur des murs. Au-dessus on avait installé des tableaux aux cadres dorés. La plupart évoquaient des scènes religieuses : la naissance du Christ, l'Annonciation, Satan tentant Jésus dans le désert. D'imposantes couronnes de chandelles étaient accrochées aux poutres par des chaînes noires et luisantes. À travers la large fenêtre à meneaux au verre serti de plomb, Kathryn apercevait le terrible labyrinthe. Ce solar, avec ses sièges cirés, ses chaires capitonnées, ses bancs à dossier, ses tables de chêne, ses étagères et ses armoires chargées de vaisselle d'étain et d'argent, était à mille lieues des horreurs de ce lieu tortueux.
L'apothicaire était bien aise d'avoir quelque chose à contempler car le mystère devant lequel elle se trouvait dépassait son entendement. A côté d'elle, Colum se prélassait dans une chaire. Un élan de jalousie la traversa car il ne quittait pas des yeux Lady Elizabeth Maltravers assise en face d'eux sur une chaire dorée semblable à un trône. Lady Elizabeth était une vraie beauté. Elle portait des vêtements de deuil. Sa superbe robe noire tombait juste au-dessus de ses chevilles et elle avait glissé ses pieds menus dans des chaussons violets ornés de boucles d'argent. Un voile noir rehaussait la pâleur de son visage au bel ovale et elle avait les sourcils épilés. Mais c'étaient ses yeux si bleus, si candides, presque enfantins, qui captivaient Kathryn. Lady Elizabeth avait pleuré mais s'était reprise à présent. Un chapelet était enroulé autour d'une de ses mains et, de l'autre, elle tenait un livre d'heures à la reliure mauve ornée de pierreries.
Kathryn ne pouvait que faire des hypothèses sur l'âge de leur hôtesse, sans nul doute pourtant plus jeune qu'elle.
Vingt-deux ans, au plus. Ses épousailles avec Sir Walter avaient dû être le mariage du printemps et de l'hiver.
Kathryn se pinça discrètement pour se punir de l'envie que cette pensée avait fait naître en elle. La femme installée sur un tabouret bas près de Lady Elizabeth était, elle aussi, séduisante. Elle portait également des habits noirs mais un voile blanc couvrait sa chevelure. Elle avait le teint mat, de grands yeux bruns, des lèvres pleines et rouges, des cheveux aile de corbeau. Kathryn se demanda si elle était anglaise, française ou italienne. Elle ressemblait à une fille de bohémien, ces gens qui vagabondaient sur les routes dans leurs charrettes aux couleurs vives. On l'avait présentée comme la suivante de Lady Elizabeth, Eleanora.
Elle se serrait, protectrice, contre le siège de sa maîtresse, une main sur l'accoudoir comme toujours prête à saisir son poignet. L'apothicaire avait déjà rencontré les autres : le père John le chapelain, Thurston l'intendant et Gurnell, le capitaine des gardes assis à côté de la châtelaine. La seule personne qui l'intriguait était l'homme au visage blême et aux cheveux roux installé derrière Lady Elizabeth. C'était Edward Mawsby, un lointain parent de Maltravers qui avait servi de secrétaire au défunt seigneur. Il semblait fort agité : sa figure pâle et allongée, ses lèvres exsangues et ses yeux verts larmoyants trahissaient sa nervosité. Les yeux baissés, il tiraillait sur un fil lâche de son coûteux pourpoint.
Luberon, de l'autre côté de Colum, se pencha, prit son gobelet, but à grand bruit
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