Le lever du soleil
couvent quelque temps, sur ordre de la Régente. Mazarin en a souri.
Mais l'affaire est politique, la Reine a décidé de se réinstaller à
Paris, non au Louvre trop grand et trop sinistre, o˘ ils vécurent les quarante jours qui seyaient au deuil du Roi Papa, mais à deux pas, dans l'ancien Palais Cardinal, devenu Palais royal quand Richelieu le légua à la Couronne à sa mort. Adieu, Saint-Germain et Fontainebleau, le pouvoir se réinstalle en bord de Seine entre les ponts si beaux sur les levers de soleil, les cris des mariniers et des marchands, à deux pas de l'hôtel des mousquetaires gris, dans ce vaste rectangle qui enclôt un jardin o˘ pourra jouer et manúuvrer Louis. Y tirer le merle aussi dans les arbres, plus tard y traquer quelque sanglier ou daim, fauves l‚chés entre les pelouses.
Il faut que le Roi connaisse cette ville qui gronde, chante et rit, il faut que cette ville aime enfin un de ses Rois.
Guitaut revint de sa mission délicate, de la rue Saint-Benoît.
- Alors, Guitaut ? dit la Reine.
- Mlle de L'Enclos se montra fort obéissante, Madame.
- Lui avez-vous dit qu'elle avait le choix du couvent o˘ se retirer ?
- Elle en rend gr‚ce à Votre Majesté.
- qu'a-t-elle choisi? Les Madelonettes ou les Filles de la Visitation ?
- Madame, Mlle de L'Enclos a dit choisir le couvent des Cordeliers.
L'úil du capitaine s'éclairait d'esprit malin, Ninon avait élu un couvent d'hommes pour sa retraite forcée.
Louis, qui était dans les appartements de la Régente, vit sa mère éclater de rire, comme il ne l'avait jamais vue. A s'en rendre malade, quand le grave capitaine lui-même souriait.
- Ah Ninon, dit Anne, tu portes mon prénom, et je comprends que tu règnes aussi, f˚t-ce sur les vices. Joue-t-elle aussi bien du luth que l'on dit ?
- Madame, oui. Elle chante aussi à ravir des airs espagnols...
- Elle ira aux Madelonettes y chanter des psaumes, sa voix plaira à Dieu mieux que sa conduite ; mais laissons-lui la semaine pour faire ses adieux à tous ses... amis. En avez-vous rencontré
durant votre visite ?
- J'ai eu, Votre Majesté, l'honneur d'y croiser Monsieur le Prince, son frère Conti, M. de Beaufort, M. d'Entraigues, le marquis de Villarceau, M. de Coligny, deux maréchaux et trois académiciens plus le bonhomme Scarron et un dénommé Poquelin, qui dirige la troupe de l'Illustre Thé‚tre. J'oubliais Paul de Gondi, le neveu de l'archevêque, qui, myope, me prit pour un autre et m'en-tretint de politique, me répétant mille fois, comme envoi de quelque sonnet, " la Reine est si bonne ". Etaient là Voiture aussi et La Rochefoucauld qui disputaient un bel assaut.
- Un duel !
Anne avait sursauté.
- ... de bons mots.
- Guitaut...
- Oui, Madame, dit le capitaine en rectifiant sa tenue.
- Vous êtes-vous bien amusé ?
- Je le crains, Votre Majesté.
- Dommage que Ninon ne puisse être reçue à la Cour. Elle nous désennuirait parfois. Et Louis ferait peut-être avec un tel professeur des progrès en luth. Mais qu'en a-t-elle à faire, n'est-ce pas, c'est chez elle que va notre Cour.
Louis écoutait et murmura " Ninon ". Il avait vu un médaillon de celle qui mettait Paris à ses pieds. Elle n'avait pas la joliesse de Marie de Hautefort, femme selon son cúur d'enfant, mais en effet l'úil pétillait. Maman Reine ordonnait et régnait, Ninon de L'Enclos séduisait et régnait autrement. Il y a là réflexion à appro-fondir pour un Roi.
- Mlle de L'Enclos se tient donc aux ordres de Sa Majesté.
La Reine sourit.
- quelle bêtise que cette histoire de gigot en plein Carême !
Mais cela remue tout le faubourg de l'autre côté de la Seine. Il faut calmer le quartier et les dévots du Saint-Sacrement, qui verraient bien reflamber les b˚chers pour les jansénistes comme pour les protestants.
La Reine avait craché plus que prononcé le mot " dévot ", elle si croyante.
- Madame, j'ai appris deux choses.
- Dites.
- La première est qu'il s'agissait bien d'un pilon de poulet.
- Mais l'Eglise veut que ce f˚t du gigot ! C'en sera donc. Et la seconde ?
- que Marie Barbe, sa mère, est morte hier. Ninon était en noir.
- Je lui laisse une semaine de deuil. Lui envoie cent écus d'or pour les funérailles. Mais ensuite, mes dames la conduiront aux Madelonettes. Elle y trouvera d'autres Madeleines en pénitence.
Envoyez-lui un courrier. A moins, Guitaut, que vous ne teniez à
la revoir et faire la course vous-même.
- Madame, je ne puis servir qu'une
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