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Le lever du soleil

Le lever du soleil

Titel: Le lever du soleil Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Dufreigne
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le jour elle est lumineuse, la nuit, calfeutrée, sans bruit, sans courants d'air.
    Le souffle du Dauphin répond à celui de son petit frère. Ils ont chahuté. Elle sourit. Il faudra bientôt les séparer. Ils devraient l'être, le Dauphin mérite tout, Anjou rien. Pour Anne, l'amour pour Louis Dieudonné ne s'effrite pas des caresses données à Philippe. Elle aime ainsi, la nuit, veiller sur son sommeil. Même Mme de Lansac s'en attendrit. Le verbe est un peu fort, mais l'espionne en chef ne contemple plus là une prisonnière dorée, une Espagnole indocile, dont il faut reporter chaque fait et geste, mais une mère. qui est aussi reine en France.
    La Reine se moque bien de ces espions, elle se sait irréprochable. Elle a renvoyé sans l'ouvrir une lettre de Chevreuse, l'ex-
    " súur " bien-aimée, qu'elle sait être l'amante de son frère le roi d'Espagne ; de plus en plus súur, la Chevrette, mais elle a renvoyé
    le pli au Cardinal par Chavigny. " que me veut donc cette femme ? ", seul commentaire négligemment tombé de sa bouche, avant de jouer de nouveau avec Louis et de dorloter Philippe.
    Elle sait par Mme de Brassac que le Cardinal avait simplement hoché la tête avec un vague sourire.
    - Son Eminence ne vous veut plus de mal, Madame, avait dit la Brassac. Il a toujours en vous respecté la Reine.
    Anne avait souri, de ce sourire qui naguère (ou, hélas, déjà
    jadis) séduisait tous les muguets de la Cour.
    - Son Eminence n'a plus le temps de haÔr.
    Elle n'a pas ajouté que le Roi non plus. On dit que Guitaut doit souvent monter la garde au chevet du monarque contre la camarde.
    Pas cette nuit... Anne sourit. Si je me sentais mourir, appellerais-je Guitaut à mon chevet ? Sans doute... Non. Je lui confierais la garde des enfants. Leur sécurité. J'appellerais près de moi La Porte, et Marie de Hautefort, et Marie-Catherine de Sénecey. Et mon père... Du moins son fantôme. J'ai eu, enfant, une chance que Dieu ne vous a pas accordée, mes fils : un père aimant, sachant aimer, le dire et, ce qui est mieux, le montrer. Le vôtre vous aime mais dans l'exaspération et je sais, moi, que vous ne l'aimez pas. L'Espagne m'était raideur assouplie par l'amour d'un père, la France pour vous n'est que peur suscitée par un père maladroit.
    Avant de dormir, Louis a pissé sur le lit de Philippe. En riant aux éclats. Et Philippe aussi a ri de bon cúur et voulu autant pisser que son frère, ce qu'on ne lui permit pas. C'est ainsi aussi que l'on devient roi, c'est ainsi qu'un cadet apprend à être Monsieur frère du Roi, si Dieu laisse la vie à l'aîné. Courte prière à peine formulée au fond de l'‚me d'Anne, au tréfonds des tripes aussi, avec une fine coulée de sueur, celle des angoisses à venir, celle des présentes, à maintenir en vie et en santé sa double couvée.
    Etre une mère quand on n'a pas de modèle !
    Elle pourrait savoir être roi, comme Papa, mais non mère comme Maman. Trop peu connue. Elle lui doit ses immenses yeux verts. Et la lippe Habsbourg, ce charnu des lèvres qui donne aux hommes qui en héritent l'apparente faiblesse du boudeur et triomphe sur la bouche des femmes en blason de la sensualité.
    Elle doit aussi à cette mère le retard de sa fécondité. Anne est née quand sa mère affichait trente-sept ans. Mais sa mère eut six enfants, elle n'en est qu'à deux et s'en tiendra là, la santé du Roi ne laisse plus rien espérer. Louis Dieudonné, dit Petit Louis, Mgr le Dauphin, et son frère Philippe seront bientôt orphelins.
    Elle, Anne, le fut de mère à dix ans, de père à vingt. Mais bien avant dans les faits, depuis les adieux d'une infante aux yeux verts à Fontarabie lorsque le roi Philippe ILI l'" échangea " contre une paix jamais venue, et contre une autre princesse de France, la súur du jeune roi son mari, Elizabeth, donnée au jeune frère d'Ana Luisa Mauricia, le prince des Asturies, futur Philippe IV.
    Philippe ILI ne fut pas grand roi, dit-on aujourd'hui, mais Anne sait qu'il fut un merveilleux père. Je ne suis pas si grande reine de France, Dieu fasse que je sois bonne mère. Pis, que je sois aussi, et cela s'annonce, s'avance et menace, une bonne régente.
    Cela va se produire, à n'en plus douter, et bien trop tôt. Louis a quatre ans, Philippe, deux.
    Ils dorment. Louis ronflote, Philippe suce son pouce. Elle les regarde et les veille. Ils partagent encore la même chambre parce qu'elle l'a voulu ainsi, et cela contre tous les avis, contre le

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