Le lever du soleil
garçon si patriote, tu vois bien Marion que ce n'est que rêve.
- Tu mens, Henri. Je le sais quand tu plaisantes sans talent.
Tu es trop ambitieux, tu veux être connétable pour épouser la Gonzague. Duc et pair ? C'est ce que t'a promis Monsieur qui se voit déjà régent ? Ou bien Grand Chancelier, ou Principal Ministre ? Tu rêves, Cinq-Mars ! Et ton rêve est stupide et dangereux.
Monsieur vous trahira tous.
- Je le sais. Bientôt nous partons en campagne vers le Roussillon et Monsieur sera du voyage, ordre du Cardinal. Monsieur et la Reine elle-même... Donc il ne se passera rien. Calme-toi, Marion.
- S'il se passe quelque chose, tu ne reviendras jamais. Ils t'exécuteront en route, comme un bandit de grand chemin.
Renonce, Henri.
- Renoncer à quoi ? Je n'ai rien entrepris.
Rien en effet sinon peaufiner un traité à soumettre à l'Espagne, inspiré par Fontrailles, qui s'y connaissait, combattu par de Thou, accepté par Monsieur et par le duc de Bouillon, et écrit de la main de Cinq-Mars, qui calligraphiait mieux. Il ne s'agissait que de faire la paix... Combien de fois Henri n'avait-il pas entendu le Roi se plaindre de cette guerre qui ruinait le royaume, se plaignant ainsi de la main de fer de Richelieu qui continuait la guerre jusqu'à une victoire décisive, et improbable pour l'instant, afin de négocier enfin, en position de force !
Tuer ou renverser l'Eminence était satisfaire le Roi, et apaiser le royaume, dont la meilleure réduction était ce Paris que Cinq-Mars aimait tant, Paris ruiné, toujours au bord de l'émeute et que le Roi évitait ou ne traversait en certaines obligations qu'au galop avec une garde triplée. Il s'interrogeait. Le Roi place Royale, et lui qui n'en savait rien ! Impossible. La Majesté avait-elle tenu ce voyage secret par souci de sécurité ?
Il baisa la main de Marion pour la rassurer. Le Roi interdisait Paris à Mme de L'Orme quand il s'y rendait, n'ignorant rien de ses amours avec son favori.
- Il suffira, m'amie, de tirer les rideaux et de ne vous faire point voir, ce que tout Paris regrettera, je sais, surtout en ce négligé.
A la fenêtre, en son propre négligé aux dentelles qui rafraîchis-sent les traits fins de son visage et lui attribuent à peine quinze ans, Ninon se prend à rire.
- Ah, le beau roi que voilà !
Venant de l'Hôtel de Ville, un cortège avec à sa tête Hercule de Rohan, duc de Montbazon, des chevaux en caparaçon, des huissiers en bonnets et hermine, des échevins en rouge, des archers aux cuirasses luisantes, ils franchissent le porche du côté de la rue Saint-Antoine, le Roi enfin, casqué comme un Romain. Un Roi de bronze ; sur un cheval de bronze. La statue équestre du souverain va trôner à nouveau au milieu de la place, après réfection et son nettoyage des fientes de pigeons. Là o˘, en septembre 1639, Richelieu l'avait fait installer pour rappeler aux bretteurs Fédit interdisant les duels qui ensanglantèrent trop le sable fin de cette arène superbe, et dévastèrent le nobiliaire de France. Le visage de la statue n'offre pas l'émacié du visage actuel de Louis.
Cinq-Mars ricane, Ninon applaudit et se signe, criant " Vive le Roi " au passage sous les fenêtres. Hercule de Rohan lui accorde une úillade et un sourire, son oreille a reconnu la voix cascadante et le rire de cristal. Tout remuement dans Paris est pour Ninon une fête.
Marion soupire de soulagement. Ce n'est qu'un roi de métal.
Une effigie vieille déjà de trois ans, l'‚ge de ses amours avec Cinq-Mars, et des amours chastes mais puantes de celui-ci avec le Roi.
- Un jour, et qui sera bientôt, on ne le mènera pas ici, mais, tout aussi raide, en sa basilique de Saint-Denis, l‚che Cinq-Mars encore renfrogné de s'être réveillé si tard.
L'Autre, le couronné, ici casqué à l'Imperator, doit le faire chercher dans les corridors pour partir encore à la chasse ! Tant pis, il boudera, sermonnera, grondera ; Cinq-Mars, lui, va traquer plus gros gibier que le plus gros cerf de la forêt de la Laye.
Une vague peur lui glace les os, pendant une seconde et demie, et s'évanouit quand, une nouvelle fois, l'adorable Ninon, que Marion surnomme " ma dangereuse amie ", se prend à plaisanter :
- Regarde, marquis, on installe la statue le nez du Roi dirigé
vers nos fenêtres. Sa Majesté sait que tu es chez Marion ! A moins que ce ne soit son étalon qui renifle la présence de deux pouliches.
Cinq-Mars lui sourit. Il n'a qu'à peine passé ses
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