Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
Vom Netzwerk:
hésitante.
    – Que veux-tu ? J’avais demandé à n’être pas dérangé.
    – Oh, je le sais bien, messire. On m’a éconduit plusieurs fois avant que je parvienne jusqu’à vous par quelque indigne ruse. Il m’importe peu que vous me fassiez battre ; il me fallait vous voir.
    Brusquement, Jaufré ne sut que faire et que dire devant ce jouvenceau qui s’était soudainement agenouillé à ses côtés, les mains jointes sur son bonnet informe.
    – Soit ! Allons, assieds-toi. Quel nom te donne-t-on ?
    Le visage du jeune garçon s’éclaira d’un large sourire. Il posa à terre son couvre-chef et s’assit en tailleur aux côtés du troubadour.
    – On me nomme Peyronnet, messire.
    – Eh bien, Peyronnet, raconte-moi un peu comment tu as déjoué la surveillance de ce vieux Craquenel.
    Le jouvenceau retint un rire. Le surnom de Craquenel donné par les manants seyait bien au vieil intendant, et il apprécia qu’il soit arrivé aux oreilles du maître de céans, sans que celui-ci s’en offusquât.
    – Voyez-vous ce sentier à ras des flots ? demanda-t-il en désignant à Jaufré une mince trace entre les ajoncs découverts par la marée.
    Jaufré opina.
    – Je l’ai suivi depuis le port, j’ai ensuite grimpé à flanc de pierre sur votre gauche.
    – Bigre ! s’étonna Jaufré. Montre tes mains.
    Peyronnet avait les paumes écorchées, et le troubadour avisa que le chapeau était souillé de sang.
    – Tu aurais pu te tuer, jeune fou !
    Mais ce dernier éclata de rire.
    – Par la barbe que je n’ai pas, il s’en est manqué de peu ! Une de mes chausses a fait choir un caillou sur lequel j’avais pris appui pour me hisser. Je me suis retrouvé les pieds battant le vide. Je n’ai dû mon salut qu’à une racine d’arbre providentielle que j’ai pu saisir au vol et qui m’a retenu. Je suis parvenu au sommet, les mains et les pieds tremblants. Là, j’ai rampé jusqu’à vous de buisson en buisson.
    – Tu es téméraire. Encore heureux pour moi que tu ne sois pas un ennemi, dit Jaufré en souriant avec indulgence.
    Malgré la sécheresse de son cœur, ce garnement lui plaisait. Il remercia le ciel qu’il ne se soit pas rompu le cou dans son ascension.
    – Maintenant que te voici, me diras-tu ce qui méritait pareille obstination et acrobatie ?
    – Vos vers, messire.
    Jaufré laissa échapper un petit cri de surprise. « Tant de risque pour si peu », songea-t-il.
    – Es-tu fou ?
    – Que nenni, messire ! Que nenni ! Sans cesse depuis mes langes, j’entends dire autour de moi les louanges de notre seigneur le troubadour. Combien il est juste envers ses gens et surtout combien il plaît par sa chanson. Ma curiosité a grandi avec mes jambes et, dès qu’on m’en laissait quelque loisir, je me rendais au plus près du château pour vous entendre. Un soir, je me suis laissé surprendre par le sommeil dans les buissons que voici. C’est votre mandore qui m’éveilla. Vous chantiez, messire, tout dressé devant la lune, une chanson que, par Dieu, jamais je n’oublierai tant elle me retourna le sang. Vous pleuriez, messire, pour celle de ce portrait.
    Jaufré regarda le visage qui souriait sur la toile, et des larmes vinrent brûler ses yeux. Il se souvenait de cette nuit. Il l’avait attendue, espérée, mais sa chambre était restée sombre et son cœur s’était tari à sa source.
    Le jouvenceau saisit l’instrument et le tendit à Jaufré en suppliant :
    – Apprenez-moi, messire. Par tous les saints du paradis, je jure que vous n’aurez jamais élève plus attentif.
    – Tu viens trop tard, petit, soupira Jaufré. Je n’ai plus d’âme, je ne compose plus.
    – Plus d’âme ? s’indigna Peyronnet en posant la mandore sur les genoux de Jaufré. Si ce portrait vous l’a volée, jetez le portrait et retournez chanter sous les fenêtres !
    Jaufré regarda le jeune garçon avec curiosité. Il eût dû le réprimander pour son impertinence, mais il n’en eut pas le courage. Peyronnet avait de la colère dans les yeux, et cette rage lui réchauffait le cœur. Il insista :
    – Vivez d’amour, messire, au lieu d’en mourir !
    Jaufré poussa un long soupir et caressa sa mandore.
    – As-tu déjà aimé, Peyronnet ?
    – Bien sûr, messire. Une pucelle de mon village qui a de fort jolis yeux en amande et une taille de guêpe. Je veux croire qu’avant longtemps elle se pâmera de mes vers autant que les belles se pâment des vôtres ! Par Dieu,

Weitere Kostenlose Bücher