Le lit d'Aliénor
dans leur chambre au moindre coup de tonnerre. Nous nous étions querellés à ce propos, et je n’avais pas cédé.
– Vous êtes, sauf le respect que je vous dois, la petite personne la plus entêtée et inconsciente que je connaisse, m’avait-il lancé en dernier recours.
Loin de me vexer, cela n’avait eu d’autre effet que de me faire éclater de rire.
– C’est sans nul doute que vous ne connaissez pas la reine de France, mon jeune ami !
Ajoutant qu’il saurait en son temps les raisons de ma hâte, j’étais montée dans la voiture, le bas des jupes maculé de boue.
– Une dame demande à être reçue. Elle est… très sale, Majesté.
Aliénor venait de lancer les dés et de perdre une nouvelle fois face à la chance insolente de Béatrice. On avait allumé les torches tant la tempête à l’extérieur du palais avait réduit la luminosité, et un feu crépitait dans la cheminée de la pièce où, entourée de ses suivantes, la jeune reine occupait ses journées maussades. Ce jourd’hui, l’on jouait aux osselets ou aux dés selon les groupes. Le roi était malade, il avait attrapé la fièvre et toussait depuis l’avant-veille. Son état n’était pas inquiétant, mais il était contraint au lit et l’apothicaire du palais interdisait toute visite. Le roi migraineux, fort mauvais patient, était d’une humeur exécrable.
Aliénor regarda le page en se demandant s’il ne se moquait pas d’elle. Que venait donc faire au palais une ribaude ? Pourquoi l’avait-on laissée entrer ? Elle l’apostropha sur un ton agacé :
– Que nous veut cette souillon ?
– Rendre hommage à cette flambée bienvenue !
Je n’avais pas attendu d’être invitée, soucieuse de marquer dès l’instant mon territoire. Denys m’avait suivie timidement. Il faut dire que nos tenues crottées n’incitaient guère à nous laisser approcher. Il y eut un murmure au milieu des tables, certaines personnes me croyant ou m’espérant perdue corps et biens, d’autres se demandant qui osait.
Le page s’écarta en tremblant de la tête aux pieds, craignant l’esclandre. Mais Aliénor avait reconnu le timbre de ma voix. Elle se leva d’un bond, bousculant la table, manquant de renverser sur les genoux de Béatrice le plateau de jeu. Elle se précipita en criant mon nom et, sans se soucier de mon aspect, m’étreignit devant une assemblée médusée. Son bonheur me fit du bien. Ainsi, elle ne m’avait pas oubliée. Je lançai dans un rire, n’osant poser mes mains sur ses atours :
– Votre Majesté devrait prendre garde, je ruisselle d’une eau écœurante.
– Que m’importe donc ton allure, mon amie, quand tu me fais la joie d’être ici !
Elle s’écarta pour mieux me contempler, tenant à bout de bras mes épaules mouillées. Soucieuse malgré tout des regards fixés sur nous, je m’agenouillai en une profonde révérence, tendant vers ses yeux pleins d’étoiles de bonheur les miens avides de sa présence. Elle me releva.
– Point de cela aujourd’hui, Loanna de Grimwald.
Elle frappa des mains, et le page qui m’avait introduite, à présent rassuré, s’avança.
– Fais conduire dame de Grimwald dans la chambre du soleil couchant et monter ses malles pour qu’elle puisse se changer, et allumer un feu, et mander ma chambrière Bernice. Comment, tu es encore là ? Allons !
– Un instant seulement, Majesté. Toutes vos bontés me touchent, mais je ne suis point arrivée seule. Voici Denys de Châtellerault qui, par la finesse de sa lame, me sauva la vie sur le chemin. De sorte que je lui suis redevable devant Dieu. J’ai eu l’audace d’espérer que vous trouveriez ici moyen de mettre à profit pareil talent.
Aliénor détailla Denys. Elle avait tiqué au début de ma phrase, alors que je m’étais effacée pour révéler mon protégé, mais ne se laissa pas aller à l’inquiétude. Je lui étais revenue, c’était l’essentiel.
Denys mit un genou à terre, tenant son chapeau d’une main ferme, l’autre écartant sa cape pour se poser avec respect sur le pommeau ouvragé d’une épée qu’il portait à la ceinture.
– Levez-vous, messire de Châtellerault. Soyez assuré de ma reconnaissance pour votre geste. On va vous conduire auprès de messire de Crécy qui vous prendra en charge sur ma recommandation. Allez, tous deux, à présent. Ce ne sont point des tenues pour paraître à la cour. Ces damoiselles ont le cœur au bord des lèvres, ajouta
Weitere Kostenlose Bücher