Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston

interprétait La Traviata. Déjà, le flot
harmonieux des cordes et des violons emplissait la salle, s’élevant des
fauteuils d’orchestre jusqu’au lustre monumental qui étincelait dans la
pénombre. Moulée dans une robe de cachemire noir, la prima
donna fit son apparition côté cour pour le deuxième acte.
Cristallin, son chant se répandit tel un torrent d’eau limpide à travers les
rangées du parterre avant de monter vers les balcons.
    Aerith
prit place sur le siège doré drapé de velours rouge et étala gracieusement les
plis de sa crinoline autour d’elle. Puis elle se tourna vers l’homme assis à
ses côtés et observa longuement son profil sans défauts, l’impeccable
ordonnancement de ses mèches blondes qui tranchaient sur son habit noir,
l’étrange teinte violacée de ses yeux. Quel âge pouvait-il avoir ? Le
temps ne semblait avoir aucune prise sur lui.
    –  Comment se déroule votre
séjour, William ? murmura-t-elle.
    –  Parfaitement
bien, répondit-il sans tourner la tête. Je n’en dirai pas autant de cette
soirée. Décidément, aucun théâtre au monde ne vaut celui de La Scala, surtout quand
il s’agit d’écouter Verdi.
    –  Ne
craignez-vous pas de vous faire remarquer ? s’inquiéta Aerith en promenant
son regard sur la courbe des loges. Peut-être ne devriez-vous pas vous montrer
ainsi en public.
    L’intéressé écarta
l’objection d’un geste désinvolte.
    –  Rupert
et ses amis savent déjà que je suis à Londres. Ils épient mes moindres faits et
gestes, tout comme les vôtres du reste. Il est donc inutile de me cacher.
    –  Mais
cette surveillance ne vous préoccupe-t-elle pas ? insista Aerith.
    –  Ils
ne peuvent rien contre moi pour l’instant, et ils le savent. Laissons-les
s’amuser.
    Il
se tut quelques minutes, concentré sur le spectacle qui se déroulait sur la
scène, un étage plus bas, avant de reprendre :
    –  Vous
avez brillamment exécuté votre mission chez lord Ashcroft. Je n’en attendais
pas moins de vous, ma chère. Cela a-t-il été difficile ?
    –  Aucunement.
J’ai échangé les deux exemplaires de La Dame de pique dans la
bibliothèque de Lynton Hall en faisant suffisamment de bruit pour être certaine
d’être repérée. Ensuite, j’ai mis Julian et Cassandra Jamiston sur la piste des
gravures d’Isis grâce au parchemin apocryphe que nous avions dissimulé dans le
livre.
    William hocha la tête.
    –  Et
d’après mes informations, vous avez également mené à bien votre deuxième tâche,
celle que vous avait confiée Rupert. À savoir séparer son fils et Gabriel
Dashwood.
    –  Rien
de plus simple. Julian ne pardonne pas la trahison, je suis bien placée pour le
savoir.
    Elle
le vit sourire dans la pénombre, de son sourire dénué de la moindre chaleur.
    –  Je
sais que vous gardez un mauvais souvenir d’un certain séjour dans un cercueil,
même s’il est vrai que votre époux avait quelque raison de vous en vouloir.
J’apprécie d’autant plus votre aide dans cette affaire…
    Il
tendit la main vers elle, et ses doigts frôlèrent la gorge satinée de la jeune
femme. Aerith retint son souffle.
    –  Sans
le savoir, Rupert nous a rendu un grand service en œuvrant à leur séparation,
poursuivait William, les yeux toujours fixés sur la scène.
    Sa
main remonta vers le ruban de velours noir qui ceignait le cou gracile
d’Aerith, caressa la peau blanche et parfumée.
    –  Maintenant
qu’il a perdu son amant, rien ne retient Ashcroft dans le Devonshire. Et j’ai
besoin de lui pour atteindre mon but… Du reste, je ne doute pas que cette
petite vengeance vous ait fait plaisir.
    Aerith esquissa un
sourire, qui se dissipa très vite.
    –  Ne
souhaitez-vous pas que je vous parle de lui  ? demanda-t-elle
dans un chuchotement.
    –  C’est inutile, je le
rencontrerai bien assez tôt.
    Il laissa passer un
silence avant de reprendre :
    –  Tout
est en place à présent. Angelia vient de quitter l’Angleterre pour la Russie.
Grâce à mes appuis, elle n’a pas été recherchée après son évasion et a donc
toute latitude pour agir. Quant à Cassandra, compte tenu de la nature de ce que
vous lui avez promis, je ne doute pas qu’elle mette tout en œuvre pour trouver
le tableau de Bosch. Elle va réussir là où j’ai échoué avec le baron de Saujac.
Et lorsque les trois gravures d’Isis seront réunies, l’emplacement du Livre d’émeraude
me sera enfin révélé… Et ce sera Cassandra