Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
d’Hippolyte, le troupeau
de Géryon, le jardin des Hespérides et le Cerbère.
Julian opina du chef.
– En
effet. Tous peuvent faire l’objet d’interprétations dans la même veine.
Il
n’eut pas l’occasion de détailler les significations alchimiques cachées des
douze travaux. À cet instant en effet, le domestique reparut au bout de la galerie
et les pria de le suivre. Ils longèrent un couloir percé de fenêtres
Renaissance et gravirent un escalier à vis de marbre blanc avant de pénétrer
dans une petite bibliothèque.
Assis
dans un siège de bois sculpté à haut dossier se tenait un étique vieillard à
longue barbe blanche. Un voile laiteux lui couvrait les yeux, et ses mains
pâles à la peau flétrie reposaient sur les accoudoirs de son fauteuil.
Le domestique invita
Cassandra et Julian à s’asseoir sur des fauteuils en tapisserie puis se retira
dans un coin de la pièce. Ce fut dans un anglais très correct que le baron
s’adressa à eux :
– Mrs.
Ward, lord Ashcroft, pardonnez à un vieillard aveugle de ne pas se lever pour
vous accueillir. Je voudrais pour commencer vous présenter mes excuses pour ce
malheureux incident survenu à la Comédie-Française. Je crains que mes gens
n’aient suivi mes ordres un peu trop à la lettre.
Julian et Cassandra
échangèrent un regard effaré.
– Je
voulais simplement vous dissuader de poursuivre vos recherches sur L’Adepte. Ce tableau appartient à la famille de Saujac depuis toujours, et
il est de mon devoir de le protéger.
Cassandra
éprouva du remords envers Clayton Blake qu’elle avait injustement soupçonné,
remords qu’elle s’empressa d’étouffer.
– Pourquoi nous recevoir dans
ce cas ? s’enquit-elle.
– Parce
que cette toile a détruit ma vie. Peut-être pourrez-vous m’aider à la
reconstruire, au moins en partie.
Julian
et Cassandra demeurèrent silencieux. Percevant leur hésitation, le baron
commença à raconter d’une voix lente :
– Il
y a plus de vingt ans de cela, un homme nommé Frederick Kerstall s’est présenté
ici et m’a demandé à voir la toile. Sa venue ne m’a apporté que souffrance…
Il
se tut quelques secondes, le souffle précipité. Sa maigre poitrine se levait et
s’abaissait laborieusement.
– Il
était anglais, mais parlait un français très pur, pratiquement sans accent.
Plus tard, j’ai appris que Kerstall était un faux nom, mais de prime abord je
ne me suis pas méfié de lui. C’était un homme aimable et d’une grande courtoisie.
Excellente éducation et famille honorable, cela ne faisait aucun doute. Et très
séduisant de surcroît.
Le
baron de Saujac avait pris une expression funèbre en prononçant ces derniers
mots.
– Kerstall
a prétendu être amateur d’art et m’a proposé une véritable fortune pour
acquérir le tableau. Pour la raison que je vous ai exposée, j’ai refusé de le
lui vendre. Alors, pour arriver à ses fins, ce monstre a séduit mon unique
enfant, ma fille Florentine…
Il
s’interrompit de nouveau, pantelant, avant de reprendre avec peine :
– Florentine
était jeune et impressionnable. Elle est tombée éperdument amoureuse de cet
homme, au point de voler la toile pour la lui apporter. Elle était accrochée
ici, ajouta-t-il en désignant d’un doigt tremblant un espace vide sur le mur
au-dessus d’une console. Mais Florentine ignorait que cette toile n’était
qu’une habile copie. L’originale est conservée en lieu sûr, un lieu que je suis
seul à connaître. J’ignore ce qui s’est passé exactement après le départ de
Florentine. Je suppose qu’elle a remis la toile à Kerstall, qu’il s’est mis en
colère en découvrant la supercherie et a quitté le pays. Malgré cela,
Florentine l’a suivi en Angleterre, où il l’a sans doute de nouveau rejetée. À
ce moment-là, ma pauvre fille était complètement déshonorée ; elle a dû
craindre ma réaction et n’a pas osé revenir ici, persuadée que je ne voulais
plus jamais la revoir. Et il est vrai qu’au début, Dieu me pardonne, j’étais
furieux contre elle, chevrota le baron. Furieux qu’elle se soit montrée faible
et crédule au point d’être manipulée, furieux qu’elle ait sali notre nom par sa
conduite indécente. Mais ensuite… ensuite je lui aurais ouvert ma porte sans la
moindre hésitation…
Julian
cilla, mal à l’aise à l’évocation de ces souvenirs qui trouvaient en lui un
écho.
– L’histoire
ne se
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