Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
remplissaient d’une indicible
terreur. Comment imaginer en effet qu’elle le laisserait en vie après
cela ? L’image du cocher égorgé le hantait encore.
Un
jour qu’il contemplait d’un œil morne les flots grisâtres de la mer Baltique,
Angelia surgit dans son dos sans crier gare, drapée dans une houppelande
d’hermine, les mains enfouies dans un manchon de fourrure argentée, sa
chevelure de jais disparaissant sous une toque assortie.
Walter
sentit une fois de plus son regard peser sur lui. En se retournant, il surprit
dans ses yeux cette même lueur qui l’avait si souvent intrigué, comme si elle
espérait… Mais quoi, qu’espérait-elle ?
– Pourquoi
me regardez-vous ainsi ? demanda-t-il avec colère.
Angelia
se contenta de rire. Elle s’accouda au bastingage près de lui et lança :
– Eh bien, Walter, comment
se déroule votre voyage ?
En
règle générale, Angelia ne parlait que d’elle-même et se souciait peu de ses
sentiments ; sans doute n’attendait-elle qu’une réponse de pure forme. Il
ne se sentait pas d’humeur à feindre cependant, aussi rétorqua-t-il
sèchement :
– Mais
très mal, en vérité. Pour l’instant, je n’y vois que des embarras.
Angelia eut de nouveau
un petit rire.
– Allons,
nous savons vous et moi que votre maître souhaitait que vous restiez à mes
côtés.
Cela
faisait longtemps qu’elle n’avait pas abordé ce sujet, et Walter avait supposé
qu’elle avait réalisé son erreur. Manifestement, il s’était montré trop
optimiste. Il ne se donna pas la peine de répondre, se bornant à resserrer son
manteau autour de lui pour se préserver du vent glacial qui cinglait le pont du
navire.
– Vous avez une mine
effroyable, s’inquiéta Angelia.
– Merci,
marmonna Walter. Je prie pour ne plus jamais monter sur un bateau de ma vie.
Par
un de ces brusques revirements auxquels il était désormais accoutumé,
l’expression d’Angelia se durcit soudain et n’eut plus rien d’amical.
– Vous
êtes un piètre menteur, Walter, pourquoi continuez-vous à nier ? Vous
n’étiez pas obligé de m’accompagner, vous le savez très bien. Vous auriez pu me
livrer à la police à n’importe quel moment quand nous étions en Angleterre.
– Pas du tout, protesta
Walter. Seishiro…
– Ne
vous cherchez pas d’excuses, le coupa-t-elle durement. Si vous aviez réellement
voulu me dénoncer, vous l’auriez fait. Rien ni personne n’aurait pu vous en
empêcher.
Ils s’affrontèrent du regard,
et Walter baissa les yeux le premier.
– Pensez ce que vous
voulez, que m’importe votre opinion ?
– Il
est inutile de lutter, Walter, je finirai par percer à jour votre secret.
– Je n’ai pas
de secret, répondit-il machinalement.
– Tout
le monde en a, murmura Angelia, les yeux perdus dans le vague, et vous ne
faites pas exception à la règle.
– Et vous ? fit
Walter d’un ton brusque.
– Moi ?
– Que cachez-vous ?
Le
visage d’Angelia s’obscurcit et son regard prit une inquiétante fixité.
– De
terribles secrets, dit-elle à voix basse. Des secrets destructeurs que vous ne
voulez pas connaître, croyez-moi sur parole…
*
Walter
avait espéré que Saint-Pétersbourg serait le terme de leur voyage, mais il fut déçu.
Aussitôt qu’elle eut débarqué du navire, Angelia se lança dans des préparatifs
qui indiquaient clairement que la capitale russe n’était qu’une étape et non le
but de leur expédition.
Elle
n’avait pas menti lorsque, en sortant de la résidence du prince Kerenski à
Londres, elle avait annoncé qu’ils auraient une totale liberté de mouvement en
Russie et y bénéficieraient de toute l’aide dont ils auraient besoin. Angelia
disposait pour ce faire d’un précieux sésame, un mot écrit de la main de
l’ambassadeur et portant le blason de la Russie impériale, l’aigle bicéphale
chargé en son cœur de l’écusson de la Moscovie, saint Georges terrassant le
dragon. Ce simple mot leur ouvrit toutes les portes.
De
Saint-Pétersbourg, Walter ne vit pratiquement rien, hormis la perspective
Nevski et le musée de l’Ermitage qu’Angelia lui désigna à travers la portière
de la voiture. Il aurait aimé s’attarder davantage dans la capitale, mais le
lendemain même de leur arrivée ils prirent le train en direction de Tbilissi, à
1 400 miles au sud-est, un long et pénible voyage qui dura plusieurs
jours. À la gare les
Weitere Kostenlose Bücher