Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
qu’Angelia daignait l’éclairer sur le but
de leur expédition, et il ne comptait pas laisser passer cette occasion.
– Ainsi
c’est une femme qui empalerait ses victimes dans des vierges de fer ?
demanda-t-il sans cacher sa surprise.
De
telles atrocités ne cadraient pas avec les qualités qu’il associait
généralement aux dames, à savoir douceur, compassion et sensibilité, même si
depuis sa rencontre avec Angelia il avait quelque peu révisé son jugement en la
matière.
– Et
pourquoi pas ? se froissa la jeune femme. La Dame Noire est l’initiatrice
de ces crimes, cela est un fait certain. Quant à savoir si elle les exécute
elle-même, c’est une autre question, même si j’ai mon idée là-dessus…
Walter pataugeait.
– Quel
est le lien entre la Russie et les meurtres qui se déroulent à Londres ?
Angelia répondit par une
autre interrogation :
– Savez-vous ce qu’est
l’alchimie, Walter ?
– L’alchimie ?
répéta-t-il stupidement, pris au dépourvu. Eh bien… c’est par ce terme que l’on
désigne la recherche de la pierre philosophale, qui permet de changer les
métaux en or et donne la vie éternelle.
– C’est à peu près l’idée,
oui, confirma Angelia.
Elle se lança alors dans
une longue explication :
– Derrière
le surnom de la Dame Noire se cache une femme appelée Maria la Prophétesse.
Maria naquit en Russie à l’aube du XI e siècle, tout près d’ici, dans le village
d’Ushguli, et pratiqua assidûment l’art alchimique tout le long de son
existence. Lorsqu’elle parvint au terme du Grand Œuvre en obtenant la pierre
philosophale, elle prit le titre d’« Adepte » et adopta un nouveau
nom, celui d’Isis…
– Isis ?
l’interrompit Walter. N’est-ce pas le nom d’une déesse égyptienne ?
Angelia
le contempla avec un mélange d’approbation (ce qui était agréable) et de
stupeur (ce qui l’était moins).
– C’est
cela même, acquiesça la jeune femme. L’Egypte étant la terre natale des arts
alchimiques, il est naturel que le choix de Maria se soit porté sur ce
pseudonyme. Et à l’instar d’Isis qui était surnommée la déesse noire, Maria de
son côté se fit appeler l’« Alchimiste Noire ». Vous voyez que la
presse anglaise n’était pas loin de la réalité en désignant par le nom de
« Dame Noire » le responsable des meurtres.
– L’« Alchimiste
Noire »… grimaça Walter. Cela signifie-t-il… qu’elle était
diabolique ? Qu’elle avait pactisé avec le Démon ?
Angelia secoua ses
boucles brunes d’un air dédaigneux.
– Ce
n’est pas aussi simple, le tança-t-elle. Avez-vous entendu parler du
Taijitu ?
Walter
fit signe que non et Angelia réprima un soupir d’exaspération. Qu’il était donc
pénible d’être entourée de béotiens ! Tout en continuant à parler, elle
griffonna sur une page blanche de son carnet le motif qu’elle venait d’évoquer.
– Il
existe en Chine depuis des temps immémoriaux une école de pensée appelée le
taoïsme, dit-elle, répétant ce qu’elle avait autrefois expliqué à sa sœur dans
sa somptueuse résidence du Grosvenor Square. C’est cette école qui est à
l’origine des premières recherches alchimiques en Asie. La doctrine taoïste se
fonde sur deux principes complémentaires : le yin et le yang, qui
représentent respectivement les parts féminine et masculine de la nature. Tout
dans l’univers s’explique par la lutte et la réunion de ces deux principes.
Angelia brandit son
carnet sous le nez de son compagnon.
– Et voici le Taijitu, le
symbole du yin et du yang…
Intrigué,
Walter examina l’étrange dessin. Il n’avait jamais rien vu de semblable
auparavant.
– Le
yin représente entre autres le noir, le féminin, la lune, l’obscurité, le froid
et le négatif tandis que le yang est associé au blanc, au masculin, au soleil,
à la clarté, à la chaleur et au positif. Les points de couleurs opposées que
l’on peut voir sur le symbole sont appelés biaoli dans la médecine
chinoise. Ils rappellent que les concepts du yin et du yang, bien
qu’antinomiques, sont indissociablement liés : chacun des deux porte en
lui le germe de son contraire, et l’un ne peut exister sans l’autre. Le jour ne
peut se concevoir que par rapport à la nuit, l’été par rapport à l’hiver, le
bien par rapport au mal. L’excès ou la déficience d’un des deux principes
entraîne des
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