Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
et de leur procurer un emploi
décent, poursuivait-elle. Nous en plaçons certains comme apprentis, chez des
graveurs par exemple, ou bien comme domestiques chez nos relations. C’est
d’ailleurs ainsi que j’ai rencontré Mrs. Brown, l’année dernière. Elle était
venue voir ma mère pour lui demander si elle avait besoin d’une bonne. Après la
mort de son époux, un avocat de Chancery Lane, elle a décidé de consacrer son
temps et son argent aux autres en venant s’installer ici. N’est-ce pas
admirable ? Moi aussi je suis heureuse de me rendre utile, mais ce n’est
pas un bonheur sans contrepartie. Ma mère s’inquiète de me savoir ici, elle en
est littéralement malade de chagrin.
Elle se tut un instant,
pensive, puis demanda abruptement à Gabriel :
– Et votre mère ?
Vit-elle à Londres ?
La question dérouta le
jeune homme, qui n’avait jamais parlé de ses parents à quiconque. Victoria
s’aperçut de son trouble et rougit.
– Pardonnez-moi, je me
montre indiscrète.
– Non, c’est juste que… ma
mère est morte, dit doucement Gabriel.
– Oh, je suis navrée…
Un long silence
s’instaura entre eux, que Victoria rompit la première.
– Nous arrivons à
l’orphelinat, déclara-t-elle alors qu’ils débouchaient dans Hanbury Street.
J’espère, Mr. Dashwood, que je ne vous ai pas ennuyé ?
– Pas du tout, répondit
Gabriel avec franchise.
Victoria
était pétrie de certitudes, il admirait chez elle autant qu’il trouvait
rassurant ce trait de caractère.
Jeremy
les attendait dans le petit salon de l’orphelinat. Fait extraordinaire, le
journaliste s’était peigné et arborait une mise bien moins négligée qu’à son
habitude.
– Miss
Werner, je suis heureux de vous voir, fit-il avec une légère courbette.
– Mr.
Shaw, auriez-vous enfin des informations concernant l’Astrum ?
demanda-t-elle avec espoir.
Il jeta à Gabriel un
regard dépourvu d’aménité.
– Je
crains que non, Miss Werner, mais je dois parler en privé à Mr. Dashwood.
– Je
vous laisse alors, j’ai des instructions à donner aux domestiques, dit-elle en
quittant la pièce.
Aussitôt qu’elle eut
disparu, Jeremy se mit à gronder :
– Pourquoi
diable ne m’avez-vous pas dit que lord Westbury était le père d’Ashcroft ?
Gabriel
ne répondit pas, regrettant d’avoir lancé Jeremy sur cette piste. Jamais il
n’aurait dû lui révéler à qui appartenaient les armoiries figurant sur l’habit
de leur assaillant à l’auberge du Dragon Rouge. Il en voulait toujours à
Julian, mais ne souhaitait pas causer de tort à sa famille.
– Les
hommes qui nous ont attaqués travaillaient pour lui, continuait le journaliste,
mais je n’arrive pas à comprendre quel lien il peut avoir avec l’Astrum.
– L ’Astrum ?
répéta une voix derrière lui.
Jeremy
sursauta et se retourna d’un bloc. Il pâlit en reconnaissant le nouvel
arrivant.
– Clayton ?
balbutia-t-il. Que fais-tu ici ?
C’était
en effet l’inspecteur qui se tenait sur le seuil du salon. Il observa longuement
Gabriel, les sourcils froncés, avant de se tourner vers Jeremy.
– Je
viens voir une certaine Victoria Werner. Et toi, de quoi parlais-tu à
l’instant ?
– Rien d’intéressant,
marmonna Jeremy.
Clayton fit un pas
menaçant dans sa direction.
– Je crois au contraire
que cela va me passionner. Alors maintenant, tu vas enfin tenir ta promesse et
me dire tout ce que tu sais sur l’Astrum et lord Westbury.
IV
– Vous
avez du talent, Miss Ward. Votre article sur les meurtres de la Dame Noire
était brillant.
Miss
Emily Davies, l’une des rédactrices del ’English
Woman’s Journal , se pencha vers Megan par-dessus son bureau.
– Je suis persuadée que
vous irez loin si vous continuez ainsi.
Megan en rosit de
plaisir.
– Merci, Miss Davies, je
suis très honorée.
Miss
Davies hocha la tête d’un air approbateur. Derrière son fauteuil étaient
accrochés des vers du poète Alfred Tennyson :
« L’homme au champ
et la femme au foyer,
L’épée pour l’homme et
l’aiguille pour elle,
À l’homme la tête et le
cœur à la femme,
À l’homme de commander,
à la femme d’obéir,
Tout le reste est
confusion. »
(« Voilà
ce contre quoi nous luttons », avait déclaré Miss Davies d’un ton inspiré
en interceptant le regard de Megan lors de sa première visite au 19, Langham
Place, quand la jeune fille était
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